Nous voici d’abord à Tours, la ville de saint Martin, et l’une des capitales de l’Église des Gaules et de France. Martin naît en 316 en Pannonie (Szombathely), dans la plaine de l'actuelle Hongrie. Comme son père, c’est un militaire, qui est en Gaule pour y accomplir son service. C’est là qu’il se convertit définitivement, et qu’il rejoint en 356 l’évêque de Poitiers, saint Hilaire. Il fonde aux portes de la ville une petite communauté régulière, à Ligugé, mais sa réputation est telle que les habitants de Tours l’élisent comme leur évêque (371).
Saint Martin n’abandonne pas pour autant la vie érémitique, et il se retire volontiers dans des grottes au-dessus de la rive droite de la Loire. Pourtant, là aussi, son renom est tel qu’il est bientôt imité par des dizaines de disciples, qui s’installent dans les grottes du coteau et dans des cabanes: c’est l’origine de Marmoutier (< majus monasterum, le grand monastère).
Si le christianisme a tôt pénétré la Gaule à partir de la côte méditerranéenne et de la vallée du Rhône, il est resté d'abord une religion pratiquée dans les centres urbains, et par les élites. Les campagnes sont en retrait, et c’est précisément en faveur de leur évangélisation que se déploie l’activité principale de saint Martin. Il décède d’ailleurs au cours d’une visite pastorale, en 396, dans le village de Candes, sur la rive gauche de la Loire –mais les habitants de Tours viendront s’emparer de la dépouille pour lui donner une sépulture dans leur ville.
Candes Saint-Martin, port des bords de Loire. |
Le monachisme est né en Orient, d'abord sous la forme de l'érémitisme (le moine est seul, selon l'image de l'ermite dans le désert), puis du cénobitisme (les ermites se rassemblent pour constituer une communauté, qui va se doter de règles de vie). L’essor de sa pratique en Gaule se fait par le biais de processus divers de transfert à partir de la Méditerranée orientale. La donne change au VIIe siècle, avec l’intervention d’une personnalité exceptionnelle, celle de saint Benoît: certes, l'action de saint Benoît se déploie dans la péninsule italienne, mais, paradoxalement, la région de la Loire occupe aussi une place essentielle dans la tradition bénédictine à l’époque mérovingienne.
Remontons en effet le fleuve depuis Tours sur une centaine de kilomètres, et nous rencontrons le souvenir du fondateur du monachisme d’Occident lui-même. Né en Ombrie (vers 485), d’abord étudiant à Rome, puis retiré comme ermite dans les collines du Latium (près de Subiaco, localité bien connue des historiens du livre), Benoît décédera vers 547 dans son monastère du Mont-Cassin. Pour les Chrétiens d’Occident, il est considéré comme le fondateur de la tradition monastique: sa Règle fixe les trois services auxquels le moine se consacrera quotidiennement, le service de Dieu, le travail manuel et les tâches intellectuelles –la lecture et la méditation de la Bible, des Pères et des auteurs spirituels.
Le Mont-Cassin a été détruit par les Lombards à la fin du VIe siècle, et il est tombé en décadence. L’abbaye de Fleury-s/Loire, légèrement en amont d’Orléans, a été fondée en 630, et elle se trouve bientôt à la tête d’un patrimoine important. L'abbé Mommole, venu au Mont-Cassin vers 670, y redécouvre le tombeau de saint Benoît et en fait transporter les reliques dans son abbaye – aujourd’hui, Saint-Benoît-s/Loire.
Fleury-s/Loire |
Comme on le sait, la figure de saint Maur inspirera bien plus tard une nouvelle Congrégation bénédictine fondée au tout début du règne de Louis XIII (1618): le rôle des Mauristes est fondamental pour la science historique en général, mais d'abord pour tout ce qui concerne les archives, les manuscrits et les imprimés anciens.
Glanfeuil. |
Rien de surprenant non plus si cette densité de maisons religieuses s’accompagne d’une grande richesse en bibliothèques, tant pour les manuscrits que pour les livres imprimés. Les collections aujourd’hui conservées, et qui proviennent pour l’essentiel des confiscations de l’époque révolutionnaire, restent là pour nous en porter témoignage, malgré les pertes et destructions qui ont pu se succéder au cours des âges...
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