Rappelons que les écoles de droit existent à Orléans au moins depuis 1235 (la bulle Semper specula avait interdit, en 1219, l’enseignement du droit civil à Paris), et qu’elles sont élevées au rang d’université par la bulle Inter cetera de 1306. Elles jouent dès lors le rôle de double faculté de droit pour les Parisiens, le droit canon (on est doctor decretorum) et le droit civil (avec le titre de doctor legum, ou, le cas échéant, de doctor utriusque, alias docteur dans les deux droits).
Reliure aux armes de la Nation Germanique (Bibliothèque d'Orléans) |
La Nation Germanique possède peut-être une dizaine de livres au début du XVIe siècle, et l’institutionnalisation de sa bibliothèque se fait à partir de la décennie 1560. Le projet prend corps lorsque le procurateur Obertus Giphanius et son confrère Hugo Blotius s'en chargent. Mais la décision est difficile, comme le souligne Giphanius: «Tantae molis erat Germanos condere libros» (Deuxième Livre, p. XLV). L'argument qui l'emporte intervient lorsque les tout-puissants docteurs-régents de l’Université déclarent mettre à la disposition de la Nation, pour sa bibliothèque, une «pièce située au-dessus de la chambre de la librairie» , rue de l’Escripvainerie, juste sous l’horloge de l’Université.
Pourtant, une visite sur les lieux convainc la Nation de ce que le local est inapproprié. En novembre 1566, les livres sont donc d’abord rangés dans la maison du pharmacien Charles d’Aise, bedeau (pedellus) de la Nation. Puis ils seront transférés un temps dans la maison du nouveau procurateur, Georgius Korman ab Menneburg (1567). Par la suite, les livres reviendront dans la maison du bedeau, où l’on estime qu’ils seront plus en sécurité (2 oct. 1567: à la suite de la prise de la ville par les Protestants).
En 1571, le bedeau se plaint de ne plus pouvoir conserver la bibliothèque chez lui, et les livres sont transportés chez le procurateur Christophorus Schell, avant que la Nation ne décide de louer une pièce (cubiculum) dans la maison de son messager, le tailleur Martinus Antonius, de Nimègue. L’assemblée du 7 juin 1572 met en place les premiers statuts de la bibliothèque. En 1580, celle-ci est déménagée dans la maison que le tailleur Blanchet occupe dans l’enceinte de l’église Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, rue de l’Université. Elle est alors confiée à un assesseur-bibliothécaire, Maximilianus Martinus Stella, tandis qu’un règlement est promulgué (1582). Dans le même temps, le fonds s’élargit progressivement au-delà du seul domaine des sciences juridiques.
En 1585, la bibliothèque déménage à nouveau, pour s’installer chez Vrain-Moireau, cordonnier, au coin des rues de Bourgogne et des Gobelets, au premier étage. La pièce sert aussi aux réunions de travail pour l’administration et pour l’enregistrement des nouveaux membres inscrits à la Nation.
Il est fascinant de voir la Nation Germanique publier, en 1664, un premier catalogue de sa bibliothèque – jusque là, les catalogues étaient restés manuscrits:
Catalogus librorum qui Aureliae in Bibliotheca Germanicae Nationis extant, éd. Emmichius Nedergordius, Orléans, Antoine Rousselet, 1664.
Il s’agit d’une plaquette de quelque 80 pages, dans laquelle les livres sont présentés systématiquement, et sous-classés par formats – ce qui correspond bien évidemment au classement topographique dans la salle. Le catalogue est introduit par une citation de Juste Lipse (Syntagma de bibliothecis), puis par la préface du Sénat de la Nation Germanique, et par une dédicace au bibliothécaire, Emmerich Neelergord. La présentation du catalogue montre que les volumes étaient très certainement rangés sur des rayonnages, sauf quelques-uns de format trop grand, disposés sur des tables et des pupitres, à côté de deux globes (céleste et terrestre) et d'une sphère armillaire.
Le contenu de la bibliothèque, soit quelque 2100 titres, se signale désormais par sa diversité: la section la plus riche est certes toujours celle du droit (780 titres), mais elle est désormais suivie par la littérature (plus de 500 titres), et par la théologie Nous reviendrons, dans notre prochain billet, sur la présence d’un certain nombre de titres remarquables dans les collections de la Nation Germanique...
Rappelons que es registres conservés ont fait l'objet d'une édition scientifique particulièrement précieuse:
Les Livres des procurateurs de la nation germanique de l’ancienne université d’Orléans, 1444-1602.
Tome I. Premier livre des procurateurs, Leiden, Brill.
Première partie, Texte des rapports des procurateurs [AD Loiret, D 213], éd. Cornelia M. Ridderikhoff, Hilde De Ridder-Symoens, 1971.
Seconde partie, Biographies des étudiants, éd. Detlef Illmer, Hilde De Ridder-Symoens, Cornelia M. Ridderikhoff,
Vol. I, 1444-1515, 1978.
Vol. II, 1516-1546, 1980.
Vol. III. Tables, additions et corrections, illustrations, 1985.
Deuxième livre des procurateurs de la nation germanique de l’ancienne université d’Orléans, 1546-1567. Première partie, vol. I [II], éd. Cornelia M. Ridderikhoff, Leiden, Brill, 1988 [la deuxième partie n'a pas été publiée].
Troisième livre des procurateurs de la nation germanique de l’ancienne université d’Orléans, 1567-1587. Texte des rapports des procurateurs, éd. Hilde De Ridder-Symoens, Cornelia M. Ridderikhoff, Leiden, Boston, Brill, 2013.
Quatrième livre des procurateurs de la nation germanique de l’ancienne université d’Orléans, 1587-1602. Texte des rapports des procurateurs, éd. Hilde De Ridder-Symoens, Cornelia M. Ridderikhoff, Leiden, Boston, Brill, 2015.
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