Conférence d'histoire et civilisation
du livre
Lundi 13 mars 2017
16h-18h
Le cordelier, le chat et le fou :
introduction à la polémique imprimée
à l'aube de la Réforme (2),
à l'aube de la Réforme (2),
par
Monsieur Frédéric Barbier,
directeur d'études
Au tournant de la deuxième décennie du
XVIe siècle, alors que les polémiques religieuses montent violemment en
puissance, le recours au média de l’imprimé leur donne des formes d’expression
nouvelles. Parmi ces dernières, le jeu de mots et la mise en images occupent une place
à tous égards stratégique.
C’est ainsi que, dans les années 1520, le cordelier Thomas Murner, à Strasbourg, est assimilé à un «chat-fou» par ses adversaires partisans de la Réforme, par homophonie à partir de son nom (Murner / Murr- Narr). Il s’agit bien entendu, dans un contexte bien particulier, de s'attacher un lectorat le plus large possible en ridiculisant l’adversaire, que l’on assimile à un animal. Mais le jeu de mots prend une dimension et une efficacité accrues lorsqu’il est convoqué à l’appui des représentations iconiques: le titre du Karschans de l’hiver 1520 présente Murner, l’un des participants au dialogue constituant le traité, sous la forme d’un homme en robe de Franciscain, mais avec une tête de chat, ce qui est explicité dès le début du texte, quand Murner lui-même prend la parole («Murner: murmaw, murmaw, murmaw. // miaw, miaw»).
Le choix du chat, pour déterminé qu’il soit (par l’homophonie du patronyme), suppose aussi un cadre de références généralement admises (le chat serait un animal familier des monastères, dont il apprécierait la discrétion), un ensemble de croyances largement reçues (le chat est regardé comme un animal maléfique) et une construction intellectuelle à partir des signifiants: il faut décomposer le mot (Mur / Narr), ce qui a pour effet de mettre en évidence l'essence cachée de celui qu’il désigne. Le calembour se présente ainsi comme une énigme susceptible de dévoiler la vraie nature du sujet, parce que le partage d’une partie de la forme implique celui d’une partie du contenu. Pour saint Augustin déjà, les «monstres» (par ex. les monstres zoomorphes) ne signifient-ils pas quelque chose (mostrare) de ce qu'ils dévoilent en le montrant?
Ajoutons que, à côté de la «mise en image», la «mise en livre» souligne encore la présence du jeu de mots, en introduisant par ex. le nom de murrnarr en petites capitales au fil du texte. Pour autant, l’ambiguïté de la référence symbolique (le chat) joue bientôt a contrario, quand l’auteur, Murner, se réapproprie très vite cette figure (mais non pas celle du «chat-fou») en se mettant lui-même en scène dans son pamphlet du Grand fou luthérien de 1522 (cf cliché ci-dessus)...
À partir de l'exemple de Murner, la conférence s'attachera à préciser les conditions dans lesquelles fonctionne l'articulation entre la «seconde révolution du livre», l'essor de la polémique par l'imprimé et l'émergence d'une sphère publique de l'opinion et de la discussion en Allemagne dans les années 1520.
Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage).
C’est ainsi que, dans les années 1520, le cordelier Thomas Murner, à Strasbourg, est assimilé à un «chat-fou» par ses adversaires partisans de la Réforme, par homophonie à partir de son nom (Murner / Murr- Narr). Il s’agit bien entendu, dans un contexte bien particulier, de s'attacher un lectorat le plus large possible en ridiculisant l’adversaire, que l’on assimile à un animal. Mais le jeu de mots prend une dimension et une efficacité accrues lorsqu’il est convoqué à l’appui des représentations iconiques: le titre du Karschans de l’hiver 1520 présente Murner, l’un des participants au dialogue constituant le traité, sous la forme d’un homme en robe de Franciscain, mais avec une tête de chat, ce qui est explicité dès le début du texte, quand Murner lui-même prend la parole («Murner: murmaw, murmaw, murmaw. // miaw, miaw»).
Le choix du chat, pour déterminé qu’il soit (par l’homophonie du patronyme), suppose aussi un cadre de références généralement admises (le chat serait un animal familier des monastères, dont il apprécierait la discrétion), un ensemble de croyances largement reçues (le chat est regardé comme un animal maléfique) et une construction intellectuelle à partir des signifiants: il faut décomposer le mot (Mur / Narr), ce qui a pour effet de mettre en évidence l'essence cachée de celui qu’il désigne. Le calembour se présente ainsi comme une énigme susceptible de dévoiler la vraie nature du sujet, parce que le partage d’une partie de la forme implique celui d’une partie du contenu. Pour saint Augustin déjà, les «monstres» (par ex. les monstres zoomorphes) ne signifient-ils pas quelque chose (mostrare) de ce qu'ils dévoilent en le montrant?
Ajoutons que, à côté de la «mise en image», la «mise en livre» souligne encore la présence du jeu de mots, en introduisant par ex. le nom de murrnarr en petites capitales au fil du texte. Pour autant, l’ambiguïté de la référence symbolique (le chat) joue bientôt a contrario, quand l’auteur, Murner, se réapproprie très vite cette figure (mais non pas celle du «chat-fou») en se mettant lui-même en scène dans son pamphlet du Grand fou luthérien de 1522 (cf cliché ci-dessus)...
À partir de l'exemple de Murner, la conférence s'attachera à préciser les conditions dans lesquelles fonctionne l'articulation entre la «seconde révolution du livre», l'essor de la polémique par l'imprimé et l'émergence d'une sphère publique de l'opinion et de la discussion en Allemagne dans les années 1520.
Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage).
Calendrier des conférences(attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles
modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).
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