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Dans cette conjoncture, le statut du Saint-Empire fait débat: le Saint-Empire ne correspond pas au modèle d’un État moderne, et le pouvoir réel de l’Empereur vient avant tout de son contrôle sur un ensemble très étendu de territoires «héréditaires» soumis à la Maison de Habsbourg (Autriche, royaumes de Bohème et de Hongrie, etc.) –en somme, sur une réunion de principautés territoriales. Dès 1667, le cas du Saint-Empire est discuté par Pufendorf, et sa critique atteindra son apogée avec Hegel au tout début du XIXe siècle: «l’Allemagne n’est plus un État», parce que le Saint-Empire ne se résout dans aucune catégorie rationnelle et que ce qui ne peut être décrit par un concept ne saurait exister. Une variante très intellectualisée –très allemande– de l'aphorisme français selon lequel «ce qui se conçoit bien s'énonce clairement».
Ces considérations ont trouvé un large écho dans l’historiographie allemande, entre autres parce qu’elles permettaient de démontrer par opposition la réussite du «Second Empire», l’empire wilhelminien organisé autour de la Prusse bismarckienne à partir de 1871. Par contrecoup, elles ont souvent été adoptées par la recherche française. Pourtant, d’autres analyses et interprétations se développent rapidement, auxquelles le récent manuel publié par un historien anglais donne une vitalité et une actualité nouvelles. Un des textes les plus importants est l’Extrait du projet de paix perpétuelle publié par Jean-Jacques Rousseau au milieu du XVIIIe siècle (1761): le Saint-Empire fonctionne d’abord comme un espace de rencontres et de discussions assurant l’équilibre entre ses différents acteurs, et leur apportant la paix. La position de cet espace au centre de l’Europe fait de son type d’organisation une manière de modèle pour tout le continent.
C’est précisément là la thèse de Joachim Whaley (thèse qui n’est donc pas si nouvelle...): à l’heure où les «nations» demandent leur autonomie (la Catalogne, l’Écosse, etc.), le modèle du Saint-Empire pourrait être un exemple précieux. Le Saint Empire a effectivement été une structure de négociations entre les princes eux-mêmes (rappelons qu'il réunit encore quelque deux cents entités indépendantes lors de sa dissolution de 1806), et entre les princes et l'Empereur. Il a constitué un espace intégrant les différentes confessions (la paix d’Augsbourg de 1555 marque à cet égard une date fondatrice), et correspondant à une unité fondée sur le compromis. Autant de termes, et d’expériences, dont pourraient s’inspirer nos dirigeants actuels –tout comme ils devraient s’inspirer d’une certaine forme de culture historique malheureusement de moins en moins répandue...
Joachim Whaley, Das Heilige Römische Reich Deutscher Nation, trad. allde, Darmstadt, Philipp von Zabern, 2014, 2 vol.
Samuel von Pufendorf (pseud. Severinus de Monzambano, Veronensis), De statu imperii germanici ad Laelium fratrem, dominum Trezolani, Genevae, apud Petrum Columesium, 1667. Nombreuses rééd., et trad. allde dès 1669.
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