Le premier de tous les «arts», par lequel s’ouvre la théorie des connaissances, est celui de la grammaire. Et le savant jésuite d’expliquer que celle-ci est en effet «la plus basse des connoissances»: formule qu’il ne faut pas prendre au sens propre, mais qui signifie qu’en tant qu’organisatrice du discours, la grammaire constitue effectivement le soubassement nécessaire de tous les autres champs du savoir.
Allégorie de la Grammaire, bibliothèque capitulaire, Le Puy |
elle est couronnée de jonc, ou du papier d’Égypte, qui sert à recevoir les lettres, & qui fournissent la matière de tous les livres.
Il s’agit bien évidemment du papyrus, que l’on pense alors être le premier support des livres, puisque les tablettes cunéiformes sont encore pratiquement inconnues en Occident.
La grammaire s’adresse à un petit enfant «qui tient l’alphabet latin sur un liston», soit une planchette permettant de ranger les lettres, peut-être sur le modèle d’un de ces supports pédagogiques utilisés pour l’initiation à la lecture:
Cet enfant presque tout nud est le symbole de l’esprit, qui n’a point encore receu d’instruction & qui n’a que les lumières naturelles, qui sont fort foibles. (…) Nous avons crû que cette nudité n’exprimeroit pas mal l’ignorance, qui n’a point de commerce avec ces belles qualitéz [= les connaissances], qui sont les vestemens de l’esprit.
L’allégorie est encore accompagnée d’une «médaille» qui représente l’invention de l’alphabet grec (p. 14), elle-même illustrée par une «devise» articulant un «corps», alias une représentation figurée, et un «mot», c’est-à-dire une légende: en l’occurrence, l’image est celle d’une «casse d’imprimerie», et le «mot», la formule latine Quid multæ, nisi ornatæ? (= Pourquoi beaucoup [de connaissances] si elles ne sont pas ordonnancées?]. Le Père Ménestrier commente son choix:
Comme le nombre des caractères de divers œil [sic] seroit inutile s’ils demeuroient toujours dans la casse, & s’ils n’estoient jamais rangez par le compositeur, de mesme il sert peu d’avoir apris beaucoup de choses si l’on n’en a pas l’usage, & pour appliquer cette devise à la Grammaire en particulier, c’est la construction & la congruité qui font la beauté du discours.
Appuyée sur l’image de la casse typographique, l’idée est, à deux niveaux, celle de l’ordonnancement: d’abord, pour que les caractères aient une utilité, pour qu'ils «servent», il faut qu’ils soient combinés entre eux pour constituer des mots et des discours, lesquels constituent dans ce schéma comme une manière de première articulation. Le deuxième niveau est celui des discours eux-mêmes, qui seront organisés en fonction de règles bien définies, leur permettant à la fois d’être construits correctement et d’être efficaces.
Le Dictionnaire de Littré (1880) nous confirme d’ailleurs que le concept de congruité venu sous la plume de notre jésuite fait d’abord référence à la théologie, et à la doctrine de la grâce: la congruité désigne en effet l’«efficacité de la grâce, qui agit tout en conservant l’action du libre arbitre». De même que la grâce divine seule impulse et vivifie toute l’action de l’homme, de même la maîtrise d’une grammaire dont nous voyons combien elle est fondamentalement liée à l’écrit et au livre impulse, vivifie et rend «efficace» l’ensemble des connaissances que celui-ci pourra acquérir.
On le voit, c’est peu de dire que l’iconographie ici mise en scène est une iconographie savante, qui recouvre une théorie de la connaissance essentiellement reçue comme une connaissance livresque. En même temps, la catégorie de l'ordre (ou de l'ordonnancement, alias de la mise en ordre) est toujours présente, qui intéresse bien entendu autant le théoricien de l'épistémologie classant les connaissances, que le praticien des bibliothèques classant les livres pour les rendre effectivement accessibles, et par là pour rendre accessibles les connaissances qu'ils proposent.
Allégorie de la typographie, dans l'Histoire de l'imprimerie, de Prosper Marchand (1740) la déesse est là aussi enveloppée d'un manteau portant les lettres de l'alphabet. |
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