«Passeurs de textes: gens du livre et gens de lettres à la Renaissance».
Un « passeur » a pour mission de faire franchir un obstacle, de transporter, de façon plus ou moins licite ou clandestine, quelqu’un ou quelque chose –en l’occurrence un texte, nécessairement incarné dans une matérialité, celle que lui donne en particulier le livre, manuscrit ou imprimé. Dans la mesure où, à la Renaissance, c’est par les textes que circulent et se transmettent les nouveaux savoirs, qu’ils soient issus de découvertes empiriques (Nouveau Monde notamment) ou de la redécouverte des textes antiques, il peut être fructueux de revenir sur les questions suivantes: comment et sous quelle forme ces textes ont-ils circulé? Comment ont-ils pu franchir les frontières géographiques, mais aussi les barrières linguistiques ou mentales? Quels itinéraires ont-ils empruntés, et quel a été leur impact sur le public européen? Quels ont été les acteurs, les transmetteurs, les passeurs de ces textes divers? Pourquoi et comment ont-ils joué ce rôle?
Dans le prolongement de la réflexion engagée, à l’occasion du colloque international intitulé Passeurs de textes: imprimeurs et libraires à l’âge de l’Humanisme (CESR / École des Chartes, avec la collaboration de la Bibliothèque Sainte-Geneviève et du Musée de la maison d’Érasme, Paris, 30-31 mars 2009), sur les protagonistes de la transmission des savoirs à la Renaissance, ce nouveau volet se propose d’élargir l’enquête à un spectre plus large, qui engloberait non seulement les imprimeurs et les libraires, mais également les voyageurs et les colporteurs, les savants, les
philologues et les traducteurs. Il s’avère en effet que de multiples érudits, collectionneurs, artistes et artisans ont contribué, à l’intérieur comme à l’extérieur des ateliers des libraires, à la circulation des textes, façonnant
peu à peu le patrimoine commun de la culture de la Renaissance.
Tous ces acteurs du livre, en dépit de leurs différences, voire de leurs divergences, partagent le geste commun du «passeur», qui met à disposition du public, parfois à grands frais et à grands risques, un texte susceptible de participer à la culture renouvelée qui s’élabore alors.
Véritables médiateurs, ils apparaissent autant comme ceux qui construisent ou recueillent un héritage (textes nouveaux ou textes anciens remis en lumière, traduits, commentés) que comme ceux qui le transmettent. Passer le savoir, c’est produire ces objets par lesquels le savoir se donne ; c’est en permettre la circulation sociale, culturelle, géographique. Alors que le premier volet de la réflexion questionnait le rapport de ces passeurs à l’humanisme, ce colloque aurait l’ambition d’interroger, loin de toute tentation purement biographique, le statut de ces «passeurs de textes», acteurs souvent obscurs, dans le champ particulier de la République des lettres au XVIe siècle: ils se situent, pour reprendre des termes empruntés à Bourdieu, au carrefour d’une «logique culturelle et d’une logique économique». Les études de cas tenteront de mieux déterminer les lignes de partage ou les tensions qui peuvent naître entre ces deux logiques. Quel rôle ces passeurs jouent-ils par rapport aux textes antiques, par rapport aux auteurs contemporains, ou même les uns par rapport aux autres? Quels critères les guident-ils dans le choix des textes qu’ils mettent en lumière? Sollicitent-ils, provoquent-ils ou traduisent-ils les souhaits des autres? S’agit-il pour eux de servir un savoir acquis ou de conquérir de nouveaux publics?
On pourra également questionner le lieu de savoir singulier qu’ils construisent, que ce soit dans l’officine du libraire, lieu de production du savoir, voire de rencontres érudites, ou par le biais des réseaux, espaces de diffusion
de ce savoir -réseaux aussi bien commerciaux que politiques et institutionnels, culturels ou académiques. Il s’agira tout autant de dessiner des lieux matériels que de saisir un espace social et culturel, où des cercles d’acteurs
se déploient selon une géométrie variable, en contribuant chacun selon son rôle, son savoir et son savoir-faire ou sa technique, à la mise en commun et à la diffusion d’une nouvelle culture.
Une place particulière sera accordée à un «passeur de textes» singulier, dont 2011 voit la célébration nationale. Il s’agit de Claude Garamont, graveur et fondeur de caractères à l’origine des fameux «Grecs du Roi» et de la célèbre police «Garamond», qui a fait l’objet de nombreuses réinterprétations à l’époque contemporaine. Outre la postérité de Claude Garamont, il s’agira de procurer un état de la science le concernant, mais aussi d’étudier à nouveaux frais, à travers le vaste réseau qu’il a tissé, les figures plus ou moins explorées de Conrad Néobar,
Pierre Du Châtel, Ange Vergèce, Christophe Plantin, Antoine Augereau et bien d’autres encore. La journée spécifiquement dédiée à Garamont permettra en outre de réfléchir aux inventions et aux choix typographiques du temps, ainsi qu’à leur influence sur la transmission des textes: le caractère ne permet-il pas, lui aussi, à sa manière, de faire passer les textes?
Le colloque est organisé par Christine Bénévent (CESR, Université de Tours), Isabelle Diu (École nationale des Chartes) et Chiara Latraioli (CESR, Université de Tours). Le texte de présentation ci-dessus est tiré de l'Argumentaire du colloque.
Détails et programme du colloque à télécharger (PDF).
Et un billet récent consacré aux intermédiaires culturels (même si la problématique n'est pas exactement celle des passeurs de textes).
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