
Nous approchons du mardi gras, le dernier des « sept jours gras » qui précèdent l’ouverture du carême. Ces fêtes ont une date variable, puisqu’elles sont calées sur celle de Pâques : le carême commence le mercredi des cendres, et il dure quarante jours jusqu’au samedi saint.
L’étymologie de carnaval fait référence à la nourriture carnée : carnaval <
carnem levare, enlever la viande [sous entendu : de la table]. Le terme allemand de
Fastnacht renvoie à la même idée, puisqu’il est construit à partir du verbe
fasten = jeûner (la nuit où l’on entre dans le temps du jeûne). Le carnaval est la fête où l’on fera une dernière fois bombance, et où toutes sortes de folies sont encore permises pour un court moment.
Les historiens du livre savent l’importance du comput fondé sur les fêtes religieuses et dont on trouve la trace dans certains colophons, ou dans le grand nombre de publications portant sur le comput et sur le calendrier (l’une des plus célèbres est le
Compost et calendrier des bergers, 1ère éd. connue Paris, Guy Marchant, 1491).
Mais le carnaval nous amène aussi à commémorer un titre très connu, à savoir le
Narrenschiff de Sebastian Brant. Publié pour la première fois à Bâle en 1494, l’ouvrage est fictivement daté du jour de mardi gras (
Fastnacht : en 1494, le 1er mars). C’est un livre de morale, remarquable parce qu’il est rédigé en langue vulgaire (allemand) et très illustré.
Le thème est celui de la folie humaine. Pour Brant, les hommes sont fous tous les jours, et pas seulement pendant le carnaval : ils ne s’attachent pas à l’essentiel, essayer d’acquérir la promesse de la vie éternelle, mais se livrent tout entiers aux joies et aux passions de la vie terrestre. Le carnaval, que l’on considère comme l’abolition momentanée de l’ordre, masque donc le fait que l’ordre véritable n’est en réalité jamais respecté.
On sait que le
Narrenschiff est un remarquable succès d’édition : nous en connaissons vingt-six éditions incunables, donc publiées entre le 1er mars 1494 et la fin du XVe siècle. Le
Narrenschiff est très vite contrefait, mais aussi traduit en latin (
Stultifera navis), en français (
La Nef des fous) et en flamand, puis en anglais au début du XVIe siècle.
Note bibliographique : nous préparons un livre consacré au
Narrenschiff. Voir aussi : Frédéric Barbier,
L’Europe de Gutenberg. Le livre et l’invention de la modernité occidentale (XIIIe-XVIe siècle), Paris, Librairie Belin, 2006 ; id., « La
Nef des fous au XVe siècle : un projet de recherche », dans
Histoire et civilisation du livre, 2007, n° 3, p. 341-349, ill. (le site indiqué dans l’article est en cours de transfert).
Ill. ci-dessus : page de titre de la première éd. latine, 1497. Les fous s'embarquent dans leur navire, et mettent le cap sur le pays fictif de leur rêves (coll. part.).