Leipzig est située à l’intersection entre la «route royale» (la Via Regia, qui conduit de Francfort vers l’est) et la route de Nuremberg vers la Baltique, et elle constitue la porte vers les marches orientales de l’Empire et vers le monde slave. La ville est une ancienne ville de marchés, parmi lesquels deux sont particulièrement importants, à Pâques, et à la Saint-Michel. Après plusieurs autres privilèges, le privilège impérial de 1497 confirme l'existence d'une foire trisannuelle (également tenue pour le Nouvel An), et la place sous la protection de l'Empire.
La foire se tient d'abord dans des installations provisoires, baraques et tentes installées sur la place centrale, la place du Marché (Markt), adossée à l’Hôtel de ville (Altes Rathaus). Toutes sortes d’autres espaces urbains seront aussi occupés par le négoce de foire: le Marché aux chevaux (Roßmarkt), par lequel s’ouvre traditionnellement la foire, ou, plus tard, la place Augustus (Augustusplatz: la dénomination ne date que de 1837), ainsi que de nombreuses rues et toutes sortes d'espaces privés.
Geißler, L'échoppe du libraire de foire (© SGM, Leipzig) |
Cette dimension «pittoresque» avait déjà frappé le Francfortois Goethe (Poésie et vérité):
Lorsque j’arrivai à Leipzig, c’était tout juste le temps de la foire, d’où je tirai un plaisir très vif. (…) Je parcourus avec beaucoup d’intérêt la place et les boutiques. Mais ce qui attira principalement mon attention, ce furent les habitants des régions orientales, avec leurs singuliers costumes: les Polonais et les Russes, mais avant tout les Grecs, dont j’allais souvent avec plaisir regarder les figures imposantes et les nobles vêtements.
À terme pourtant, face à l’accroissement des affaires, le dispositif de la foire que l'on pourrait qualifier de «volante» est de moins en moins adapté: dans la deuxième moitié du XVIe siècle commencent à être aménagés ou construits les premiers immeubles spécialisés pour le négoce et pour la foire, en l’espèce des «maisons de foire» (Meßehäuser), dont moins d’une vingtaine sont aujourd’hui conservées, les plus récentes remontant au début du XXe siècle. Le Städtisches Kaufhaus sera achevé en 1901, et abrite bureaux d’intermédiaires, salles de réunion et espaces de stockage.
Maison de commission et d'expédition Johann Christian Freygang |
Cour d'Auerbach (Auerbachshof), 1778 (© SGM, Leipzig). |
La plus belle aujourd’hui conservée est la Cour Barthel (Barthelshof), élevée au milieu du XVIIIe siècle sur le Markt pour le négociant-banquier Gottfried Barthel (1692-1759). Le Speckshof (du nom de Maximilian Speck von Sternburg, qui acquiert les lieux en 1815) correspond au même modèle, mais il sera reconstruit en 1909-1912, et ses cours intérieures couvertes en 1928, pour le transformer en passage.
La foire traditionnelle de la «librairie» était celle de Francfort, chaque année au printemps et à l’automne, mais la concurrence de Leipzig permet à cette ville de dépasser sa rivale, pour le volume des affaires, dans le dernier quart du XVIIe siècle. La «Vieille bourse du négoce» (Alte Handelsbörse) marque ce moment de rupture: le bâtiment a en effet été élevé par les négociants de la ville en 1678-1679 à côté de l’ancien Hôtel de ville (milieu du XVIe siècle), et il accueille notamment dès lors (jusqu’en 1886) la séance clôturant la foire du livre, celle, décisive, de la balance des comptes et des paiements (les retours se faisant dans les magasins eux-mêmes).
La Vieille Bourse (Alte Börse). A gauche, l'ancien Hötel de Ville (Rathaus) |
Nouveau complexe du Speckshof |
Les deux-tiers du «Quartier polygraphique» seront détruits par les bombardements de 1942-1943, tandis que la mise en place du rideau de fer détruit aussi les bases de la «librairie» de Leipzig et ouvre le temps de la renaissance pour la plus grande foire du livre aujourd’hui, celle de Francfort.
L’un des agréments de l’historien quand il voyage réside dans le fait que le voyage dans l’espace recouvre aussi un voyage dans le temps. En nous promenant dans la vieille ville de Leipzig, dans ce qui a été le «Quartier polygraphique» et jusqu’au cimetière proche –où se rassemblent encore les grandes dynasties d'imprimeurs et de libraires–, nous retrouvons, malgré les destructions irrémédiables, les logiques de fonctionnement de la « librairie », et de la société plus large qui l'encadrait, au cours de plusieurs siècles. Nous pouvons faire les mêmes expériences à Paris, à Lyon, et dans un certain nombre d’autres villes: toujours et partout, il faut savoir s’informer, ouvrir les yeux et regarder (3).
Notes
(1) Christian Friedrich Heinrich Geißler (Leipzig, 1770-1844), dessinateur et graveur.
(2) Georg Emanuel Opiz (Prague, 1775- Leipzig, 1841), écrivain, dessinateur et graveur.
(3) Le cas échéant en se reportant à un guide. Nous ne pouvons que recommander celui de Sabine Knopf, Der Leipziger Gutenbergweg. Geschichte und Topographie einer Buchstadt, Markkleeberg, Sachs-Verlag, 2000.
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