L’apprentissage de la démocratie est un jeu subtil et que l’on pourra à juste titre juger au moins… compliqué, et cela jusqu’à aujourd’hui. Après la chute de Robespierre, la Convention thermidorienne assure la transition avec le régime qui suivra, celui du Directoire: le «décret des deux-tiers» impose aux électeurs de choisir au moins les deux-tiers de leurs représentants parmi les sortants –on conviendra que, même dans un système censitaire, il s’agit d’une conception pour le moins restrictive de la démocratie.
Dans le même temps, la réaction monte en puissance. Le 13 vendémiaire an IV (5 oct. 1795), l’insurrection royaliste est écrasée par Bonaparte sur les marches de l’église Saint-Roch. Trois semaines plus tard (4 brumaire = 26 oct.), la Convention tient sa dernière séance, tandis que 750 députés sont bientôt élus, pour former les deux conseils, les Anciens et les Cinq-Cents. Installés au Luxembourg, les cinq directeurs sont nommés par les conseils: Carnot et Letourneur représentent la frange modérée; Reubell et Barras penchent vers la gauche, tandis que La Révellière devient de fait le pivot d’une possible majorité.
Dans l’ensemble, les Thermidoriens se succèdent à eux-mêmes, mais ils sont profondément divisés. Après leur échec, les Royalistes se tournent vers l’action légale, en s’appuyant sur un réseau d’«Instituts philanthropiques» créés dans les départements. Bientôt, se profilent les élections du printemps 1797, qui renouvelleront le tiers des conseils, et un directeur. «Ni les astuces comptables, ni les précautions législatives, ni les pressions administratives [ne peuvent] avoir raison du prosélytisme des prêtres réfractaires, de l’intense effort de la propagande royaliste, et du modérantisme spontané de l’opinion bourgeoise» (François Furet). Les résultats du 29 germ. an V (18 avril) sont un échec cinglant pour le régime: une douzaine de départements seulement (sur plus de 90) restent fidèles à la République. Au Directoire, Letourneur est remplacé par Barthélemy.
La crise s'exacerbe bientôt, entre les assemblées devenues réactionnaires et l’exécutif, où un «triumvirat», constitué de Barras, Reubell et La Révellière, s’impose peu à peu pour empêcher toute restauration monarchique. Tandis que les conseils préparent la mise en accusation des triumvirs, le général Augereau, dépêché d’Italie par Bonaparte, occupe Paris le 17 fructidor an V (3 sept. 1797) et fait arrêter un grand nombre de parlementaires, plusieurs généraux, etc. Barthélemy lui-même est arrêté, Carnot se cache, puis passe à l’étranger. Des lois d’exception cassent les élections de l’an V dans 49 départements, et établissent un contrôle sévère de la presse. Le régime est sauvé, mais sa légitimité démocratique a disparu et le pouvoir ne pourra plus se maintenir qu’en s’appuyant sur l’armée: «le coup d’État n’enterre pas seulement la république des députés, il rétablit l’exception au détriment de la loi» (F. Furet).
Voici maintenant la petite brochure que nous souhaitons présenter:
Sébastien Bottin, Le 18 fructidor justifié par les élections du Bas-Rhin de l’an V. Discours décadaire prononcé le 20 ventôse an VI par Sébastien Bottin, greffier au Tribunal criminel, Strasbourg, chez F.-G. Levrault, imprimeur du département du Bas-Rhin, an VI de la République française, 28 p., 8°. Sign. A(8), B(6). De ces événements tragiques, et du reclassement sociologique à l’œuvre depuis 1789, notre brochure constitue en effet comme le miroir.
L’auteur et son environnement familial, d’abord: originaire de Lorraine (Grimonviller, anc. dép. de la Meurthe), Bottin (1764-1853) appartient à une dynastie de marchands-négociants, mais aussi de chirurgiens, du comté de Vaudémont (Lorraine ducale). Il est d’abord élève à Vézelise, avant de venir à Toul faire sa «philosophie».
À cette époque, sa famille se détermine à l’envoyer à Bordeaux, pour se former au commerce et continuer ses cours d’université. Ce voyage fut pour lui une véritable excursion initiatique et géographique.
Un oncle avec lequel il le fit était commerçant, il voyageait à petites journées et s’arrêtait dans les principales villes. M. Bottin profitait de ces instans pour visiter tout ce qu’on pouvait lui indiquer de curieux (…). Il traversa ainsi la Champagne, la Brie, la Beauce, l’Orléanais, la Touraine, le Poitou, la Saintonge et la Guyenne…
Le jeune homme reste deux ans à Bordeaux, avant de rentrer en Lorraine. Dans un milieu de petite bourgeoisie, il ne se tourne pourtant pas vers la carrière du commerce, selon le modèle traditionnel, mais vers celle de l’Église: séminariste à Toul, il est «fait prêtre séculier» par Mgr de Champorin... en mai 1789, mais il se révèle un partisan actif des réformes. Il participe à Paris à la Fête de la Fédération, et approuve en 1791 la Constitution civile du clergé, avant d’être nommé, toujours dans son pays, curé de Favières. Son père, François Bottin, sera présenté comme «percepteur de la division de Grimonviller» à son décès (1808).
Sébastien Bottin s’inscrit comme volontaire «pour défendre l’Alsace» en 1793, mais il entrera très vite dans l’administration civile du Bas-Rhin: premier commis du bureau central des commissaire des guerres à Strasbourg (1793), receveur des domaines dans les pays conquis, chef de bureau adjoint, puis secrétaire en chef de l'administration centrale du Bas-Rhin (an VI). On comprend au passage que son premier poste au bureau des commissaires des guerres le mette nécessairement en relations avec les fournisseurs d’impressions administratives et autres documents et formulaires pré-imprimés à Strasbourg. Les Levrault (F.-G. Levrault) sont les principaux d’entre eux –nous y reviendrons.
Dans l’intervalle, en 1794 (20 août = 3 fruct. II), notre curé s’est marié à Pont-à-Mousson, ...bien avant qu’une décision pontificale ne le relève des ses vœux. En l’an VIII et en l’an IX, il est le secrétaire particulier du général Lecourbe au cours de la campagne d’Allemagne.
À son retour, Bottin quitte Strasbourg, d'abord comme secrétaire du préfet du Nord, Dieudonné, puis comme secrétaire général de la préfecture (13 déc. 1802): il restera à Douai jusqu’en 1815. Il est nommé chevalier de la Légion d’honneur le 30 août 1814, «par la grâce [de] Sa Majesté» Louis XVIII, mais, élu à la Chambre des représentants pendant les Cent Jours, il semble se retirer de tout engagement politique à partir de la Seconde Restauration.
Au fil des années de la Révolution, le curé constitutionnel devenu fonctionnaire de la République et des différents régimes successifs endosse clairement le rôle de l’intellectuel, prononçant et publiant de nombreux discours, dont celui ici présenté. Il apparaît certes comme un homme nouveau et un partisan de la République, mais il se fait peu à peu plus conservateur, quand il s’agit de soutenir les modérés et de maintenir l’ordre bourgeois face au risque de retour en arrière:
La loi du 19 fructidor a frappé de nullité, dans 49 départements de la République, les choix faits par les assemblées primaires (…) comme étant les choix des seuls royalistes. Cette mesure étoit-elle nécessaire et juste pour le département du Bas-Rhin, qui se trouve dans le nombre? (…)
Il est une vérité, qui est mathématique à mes yeux: c’est que l’hydre du royalisme, sans cesse abattue, se relèvera toujours sous de nouvelles formes tant qu’il existera un seul émigré, un seul homme qui regrette ses abus…
Ce langage parfois brutal correspond à la rhétorique du temps, et à l’urgence de prendre parti: il ne doit pas faire illusion. Bottin rejoint d'ailleurs la position d’un autre jeune homme venu des marges orientales de la France: le Lausannois Benjamin Constant, qui vient de publier son petit traité De la force actuelle du Gouvernement de la France et de la nécessité de s’y rallier (s. l., s. n., 1796).
Il est significatif que notre brochure se referme sur une partie de Notes, dont la
présence même illustre le fait que l’on s’adresse toujours à la frange «éclairée» des citoyens -et des électeurs. La mise en texte suit quant à elle le canon contemporain du néo-classique. Enfin, on notera que l'Annuaire historique et statistique du (...) Bas-Rhin, poursuivi, après le départ de Bottin, par Fargès-Méricourt, lui aussi secrétaire de la préfecture, propose, en tête de son édition de 1811, un long «Précis historique» presqu'entièrement consacré à la question de l'invention de l'imprimerie (p. 20-63).
Itinéraire tout à fait intéressant et commun à nombre de jeunes gens et curés défroqués comme Cavoleau en Vendée qui se découvrent des talents d'administrateurs
RépondreSupprimerMerci! Oui,je crois que c'est un itinéraire représentatif, et qui met aussi en évidence la complexité de l'époque. Je crois aussi que le personnage et son environnement mériteraient d'être "creusés". FB
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