École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation
du livre
Lundi 5 février 2018
16h-18h
Le patrimoine livresque et les musées du livre
dans les bibliothèques italiennes depuis le XIXe siècle
dans les bibliothèques italiennes depuis le XIXe siècle
par
Monsieur Andrea De Pasquale, directeur général
de la Bibliothèque nationale centrale de Rome,
docteur de l'EPHE
de la Bibliothèque nationale centrale de Rome,
docteur de l'EPHE
Alors que les nouveaux médias sont en plein essor, une présentation pédagogique, intelligible par le plus grand nombre, du monde des «anciens médias» –et notamment de l’imprimé – s’impose comme une nécessité d’ordre également politique –une nécessité pour le «vivre ensemble».
On ne saurait en effet surestimer de rôle du média, le livre imprimé, dans l’élaboration du mode de pensée et dans la distinction des écritures en Occident. L’imprimé dispose le texte sous une forme linéaire normalisée (une succession de feuillets et de pages), il encadre une organisation des contenus qui détermine elle-même le mode de raisonnement et les fondements de l’outillage mental. Dans les premières décennies du XVIIe siècle, donc à échéance de cinq ou six générations après Gutenberg, c’est le temps du «miracle», la publication des travaux de Kepler et de Galilée sur la structure du cosmos en même temps que l’instauration de la pensée moderne symbolisée par les traités de Bacon et de Descartes. Pierre Chaunu peut décrire l’époque comme celle
sur [laquelle] la civilisation de l’Europe classique organise ses pensées (...). Le miracle européen de la civilisation mécaniste (...) se place désormais en facteur commun de toute périodisation (...). Voilà le môle temporel sur lequel l’Europe des Lumières (…) et la civilisation scientifique du XXe siècle même (…) prennent extension et appui...
Parme, Biblioteca Palatina, Galleria Petitot |
Ne nous étendons pas sur la révolution de la librairie de masse et de l’industrialisation, mais bornons-nous pour résumer à souligner deux points. Le premier concerne la chronologie du changement, toujours beaucoup plus ample que ce que l’on aurait attendu a priori: de même que l’invention du livre imprimé ne correspond pas à celle de l’imprimerie, de même les utilisateurs actuels ne s’approprient que lentement les nouveaux médias électroniques (apparus dans le grand public dans les années 1980, donc voici déjà plus d’une génération). Le «livre électronique» commence seulement à s’émanciper, dans ses formes et ses contenus, des formes et des contenus qui étaient ceux du livre imprimé.
Cette réorganisation induit des changements radicaux, qui concernent non seulement les pratiques de lecture, mais aussi le système des savoirs et des textes, les genres de littérature, et, très probablement, les modes mêmes de raisonner et de penser, même indépendamment de l’essor de l’intelligence artificielle. La progression linéaire se fait moins prégnante, au profit du «butinage» ou du «saut» d’une information à l’autre qu’induit l’utilisation d’Internet. Le délai de latence –et de liberté– qui pouvait exister entre l’événement, l’élaboration de l’information comme texte, sa diffusion par l’imprimé et son appropriation par les lecteurs, ce délai tend à se réduire, voire à disparaître dans une société dominée par les logiques de l’instantanéité, de l’immédiateté et de la mondialisation...
Le changement radical aujourd’hui engagé est effectivement très rapide, mais il n’en reste pas moins étonnamment progressif –l’unité de mesure se compte toujours en terme de générations. D’où le second point. La gestion et la conduite des sociétés humaines et des individus sont une science, en ce sens qu’elles s’appuient, ou qu’elles devraient s’appuyer, sur l’expérience pour déterminer les directions éventuellement les meilleures à prendre. Or l’expérience, dans les sciences humaine, c’est l’histoire: la connaissance du passé est l’une des conditions nécessaires à une conduite rationnelle des affaires du présent et, s’agissant d’histoire des idées, des représentations abstraites et des pratiques culturelles, une certaine connaissance des écrits et des imprimés constitue une voie privilégiée pour la compréhension des processus auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés.
Les bibliothèques et les musées du livre et de l’écrit ont ainsi une mission pédagogique d’autant plus importante que le changement semble omniprésent, que les mutations paraissent se succéder à un rythme plus soutenu, que la modernité en cours de redéfinition reste incertaine, voire inquiétante, et que le privilège est toujours donné à la mutation brutale par rapport aux systèmes historiques plus subtiles et plus profonds: visiter les bibliothèques et les musées du livre, c’est aussi, pour chacun, se donner les moyens d’articuler à plus long terme les logiques de la continuité et du patrimoine pour mieux comprendre le présent du monde complexe dans lequel il vit.
Lieu: École pratique des Hautes Études, IVe section, 54 boulevard Raspail, 75005 Paris (premier sous-sol, salle 26).
Métro Sèvres-Babylone, ou Saint-Sulpice.
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