dimanche 30 mars 2014

Almanach et innovation de produit

Une thèse tout récemment soutenue sur la dynastie parisienne des imprimeurs-libraires d’Houry, professionnels d’abord connus en tant qu'éditeurs de l’Almanach royal, amène à revenir sur la problématique de ce genre bien particulier qu’est précisément l’almanach. La mode a en effet longtemps été, chez les historiens du livre, à l’étude des almanachs, lesquels constituent un genre bibliographique très spécifique.
Commençons par la bibliographie matérielle: l’almanach peut se présenter sous la forme d’un simple placard donnant d’abord le calendrier, mais il peut aussi être une «pièce» ou un petit volume in-quarto (par ex., le Grand messager boîteux), voire un gros in-octavo (par ex. l’Almanach royal). Sur le plan du contenu, il peut se borner à des informations simples (la calendrier avec l’indication des fêtes, des dates des foires, etc.), ou présenter, selon le cas le plus courant, une partie de récréation et d’information.
Compost, ou Calendrier des bergers
La grande majorité des titres relève du modèle de l’almanach généraliste (on s’adresse à un lectorat global), mais un nombre croissant se tourne vers une forme de spécialisation par le public (l’Almanach des dames), spécialisation elle-même plus ou moins articulée avec un contenu davantage ciblé (encore une fois, l’Almanach royal). Enfin, une caractéristique d’ensemble réside, en principe, dans le fait que l’almanach est un annuaire, alias qu’il est publié régulièrement chaque année.
Ajoutons que certains titres qui ne sont pas des almanachs donnent un contenu relevant pour partie de ce genre: un exemple très frappant est donné par les livres d’Heures, qui présentent pratiquement toujours un calendrier en tête, et qui remplissent la même fonction que celle de l’almanach, à savoir un vademecum accompagnant le lecteur au fil de la journée, et au fil de l’année. Bref, l’almanach constitue un paradigme qui se décline sous un grand nombre de formes différentes: cette multiplicité, qui rend l’analyse d’ensemble plus difficile, invite à faire appel à des catégories transversales, parmi lesquelles celle de l’innovation de produit semble l’une des plus intéressantes.
L’almanach correspond en effet d’abord à une spéculation éditoriale, qui vise à toucher un lectorat nouveau auquel on propose un ensemble de textes utilitaires et éventuellement récréatifs: le Compost ou Calendrier des bergers, donné pour la première fois par Guy Marchant à Paris en 1491, en est l’un des prototypes (nous lui avons consacré une partie des conférences de l’Ecole pratique des Hautes études en 2008-2009). L’almanach n’a pas d’auteur désigné, mais c’est l’éditeur qui réunit ou qui commande un ensemble de textes dont il pense qu’ils sont susceptibles d’intéresser le lecteur. Guy Marchant se signale de fait, à partir de 1482, comme un professionnel particulièrement novateur, avec la publication de multiples Danses macabres (en 1485), et avec l’introduction en France de la pratique de la marque typographique (M.-L. Polain, Marques des imprimeurs et libraires en France au XVe siècle, Paris, 1926). Le Compost est l’une des «inventions» d’un professionnel qui s’impose rapidement parmi les premiers dans sa branche d’activités.
De même, on a trop souvent associé almanach et lecture «populaire» pour qu’il ne soit pas nécessaire de revenir ici sur le principe même de cette articulation: non, les almanachs ne sont pas nécessairement l’«encyclopédie du pauvre» (y compris s'agissant du calendrier), et ils ne constituent pas la «bibliothèque» de celui qui, ne pouvant pas se procurer de livres, doit se limiter à l’unique forme d’un digest plus ou moins réussi mais toujours bon marché. Reprenons à grands traits la chronologie.
Nous sommes, dans la seconde moitié du XVe siècle, face à un lectorat élargi, mais qui reste malgré tout limité. Or, l’un des secteurs du marché les plus dynamiques concerne  le groupe de ces laïcs plus ou moins fortunés, et qui souvent ont conquis un grade universitaire. Ce sont d’abord eux les nouveaux lecteurs, qui se constituent de petites bibliothèques, et c’est à eux que s’adressent les libraires avec leurs Heures, leurs romans (Mélusine!), et leurs titres dérivés du Compost.
Dans un second temps (après 1480), le lectorat s’ouvre, et une nouvelle forme d’innovation de produit se met en place: l’almanach intègre ce secteur de la «librairie» qui part à la quête d’un public élargi («populaire»), les titres anciens sont déclassés (pratiquement, au sens marxiste du terme), et la «Bibliothèque bleue» de Troyes (pour nous limiter à la France) recycle ces textes désormais destinés à de nouveaux lecteurs. Un troisième temps (le XVIIIe siècle?) est celui de l’approfondissement et d’une possible spécialisation, laquelle peut correspondre à une forme de rationalisation bureaucratique ou autre (notamment dans le cas de l’Almanach royal).
Il conviendrait de prolonger le schéma à l’époque de la «deuxième révolution du livre», la révolution industrielle, mais nous devons ici conclure: rien que de normal si l’almanach, en temps que spéculation éditoriale, obéit à une conjoncture qui renvoie fondamentalement à l'évolution d’ensemble de la branche de l’imprimé (Buchwesen). Dès lors que le livre est devenu une «marchandise», sa conjoncture obéira en effet à la logique générale de la «marchandise», et fera la fortune des professionnels les plus à même de l'exploiter.

samedi 29 mars 2014

Conférence d'histoire du livre: la librairie à Paris au XIXe siècle

École pratique des hautes études,
IVe section

Conférence d'histoire et civilisation du livre

Lundi 31 mars 2014

16h-18h
La librairie parisienne sous surveillance (1815-1848)
par
Madame Marie-Claire Boscq,
docteur de l'Université de Versailles-
Saint-Quentin-en Yvelines

Les galeries de bois au Palais-Royal, 1820: à gauche, la librairie Dentu
Au temps des dernières monarchies françaises, les diffuseurs d’écrits, imprimeurs en lettres et libraires, font l’objet d’un contrôle serré, orchestré par l’administration de la Librairie. Imprimeurs et libraires doivent être titulaires d’un brevet signé par le roi, titre professionnel personnel. Le brevet est l’instrument-clé du contrôle (à l’entrée en exercice et, ultérieurement, par la menace d’une suppression en cas de condamnation). Les inspecteurs de la Librairie et les commissaires de police contrôlent ateliers et boutiques, s’assurent du respect des procédures et vérifient que les ouvrages diffusés ne sont pas contraires à l’ordre établi et porteurs de subversion. Les lois promulguées au cours des trois règnes définissent, en matière de publications, les crimes et délits passibles de sanctions et les peines afférentes (amendes et emprisonnement). L’étude de la surveillance de la librairie de 1814 à 1848 souligne les hésitations du pouvoir, entre liberté de publication et censure.

Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2013-2014. Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg). Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand). 
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

dimanche 23 mars 2014

Conférence d'histoire du livre

École pratique des hautes études,
IVe section

Conférence d'histoire et civilisation du livre

Lundi 24 mars 2014

16h-18h
Un provincial et sa bibliothèque en France au 17e siècle:
les livres d'Elie Bouhéreau, médecin protestant de La Rochelle (1665-1685)
par
Jean-Paul Pittion,
professeur hr. à l’Université François Rabelais (Tours),
fellow de Trinity College, Dublin

Elie Bouhéreau (1643-1719) est fils d’un pasteur à Fontenay et à La Rochelle. Il accomplit un cursus de philosophie et de théologie à l’Académie de Saumur, puis il s’oriente vers la médecine (Orange, 1667) et s’établit dans sa ville natale. Interdit d’exercer en 1683, il se réfugie en Angleterre à la suite de la Révocation de l’Edit de Nantes (1685). Il sera le premier bibliothécaire de la Bibliothèque Marsh à Dublin.

Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2013-2014. Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg). Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand). 
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

vendredi 21 mars 2014

Journée d'études: "Fonder une bibliothèque sous l'Ancien Régime"

UNIVERSITE DE STRASBOURG, INSTITUT D’ETUDES AVANCES (USIAS)
BIBLIOTHEQUE NATIONALE ET UNIVERSITAIRE DE STRASBOURG

26 mars 2014
Journée d’études
FONDER UNE BIBLIOTHEQUE SOUS L'ANCIEN REGIME

Fonder une bibliothèque «publique» reste en Occident, depuis trois millénaires, un acte hautement symbolique, dont la dimension principale est d’ordre certes culturel et intellectuel, mais aussi politique.
Le modèle premier est celui du Musée d’Alexandrie (alias la demeure des Muses), que crée Ptolémée Ier Sôter au tournant du IIIe siècle av. J.-C. Nous sommes dans l’environnement très particulier des héritiers de l’empire d’Alexandre: Alexandrie devra être la capitale du monde, elle accueillera la dépouille du conquérant et elle abritera, dans son Musée, tous les instruments de culture alors disponibles, à commencer par les textes. A l’époque hellénistique, la ville est le grand emporium de la Méditerranée.
Il est inutile de s’arrêter sur le rôle du Musée dans la construction de la philologie –et de la pensée– occidentales, y compris pour la tradition chrétienne, avec le travail de la Septante. Avec Alexandrie, l’institution de la bibliothèque est d’emblée liée à une problématique d’acculturation et de transfert: le prince veut imposer le modèle grec comme modèle universel, mais aussi intégrer toutes les traditions provenant d’autres cultures. Plus tard, à Rome comme dans les autres villes de l’Empire, la fondation d’une bibliothèque en principe «ouverte» relève toujours d’un objectif d’évergétisme dont on sait les liens avec le champ du politique.
Mais, avec l’effondrement radical de la culture livresque qui accompagne la disparition de l’Empire romain, avec aussi la religion nouvelle du christianisme, nous voici devant un tout autre modèle: celui d’îlots, constitués autour de l’Eglise et assurant seuls la conservation de la tradition écrite. Pourtant, le schéma politique ancien se retrouve sous l’empire carolingien: scriptoria et bibliothèques des abbayes et des chapitres seront les vecteurs de la renovatio imperii, à travers la diffusion des textes et le renouvellement des formes matérielles de leur support (la Renaissance carolingienne).
Le rapport entre la fonction de la bibliothèque et l’économie générale des médias, pour rester souvent implicite, n’en est pas moins toujours présent. Dès lors que le livre n’est plus chose exclusive de l’Eglise c’est-à-dire à partir du XIe siècle, il devient ce vecteur de formation et de culture qui permettra éventuellement de construire la réussite sociale. Donner accès au livre à tous ceux qui en ont besoin est un acte de foi: on fera des dons de livres à telle ou telle institution entretenant une bibliothèque, voire on fondera un établissement (un collège) qui permettra à ceux qui n’en ont pas a priori les moyens de poursuivre des études, et qui, notamment, tiendra à disposition une collection de livres aussi riche que possible –le meilleur exemple en est la Sorbonne.
Pour autant, l’objectif premier, celui de la politique, perdure à travers les siècles, et ce jusqu’à aujourd’hui: avec la bibliothèque, il s’agit de documenter la réflexion et l’action politiques (cas de Charles V comme de Mazarin), voire de se poser comme le prince des lettres, et donc comme l’héritier de la tradition de l’empire universel antique. Bien évidemment, le politique n’épuise pas l’éventail des objectifs, mais même lorsque celui-ci est de promouvoir les Lumières et de construire une république européenne des lettres, c’est le rôle du prince ou du grand comme médiateur et comme passeur, qui est toujours en jeu.
Si le schéma bouge en profondeur à l’époque de la Révolution française, la dimension politique reste au premier plan dans le domaine de bibliothèques désormais devenues «nationales». Il faudra une longue expérience pour constater que tous les citoyens n’ont pas un accès égal au principal média de culture, le livre, et qu’il conviendrait, en bonne logique démocratique, de fonder un autre modèle de bibliothèque, celui des «bibliothèques de lecture publique»: cette question reste, jusqu’à aujourd’hui, l’un des enjeux-clés dans le domaine des bibliothèques, alors même que celui-ci est profondément reconfiguré par l’irruption de la «troisième révolution du livre», celle des nouveaux médias.
De l’acte de foi à l’investissement politique et aux formes changeantes de cet investissement en fonction de la déclinaison du paradigme, il y a encore beaucoup à dire sur l’acte de fonder une bibliothèque, et sur les dispositions matérielles prises pour assurer cette fondation. La journée d’étude organisée à Strasbourg le 26 mars prochain a précisément pour objectif d’éclairer ces phénomènes à travers une série d’exemples, des bibliothèques alsaciennes de la première modernité (XVe-XVIe siècles) aux bibliothèques du baroque et des Lumières, pour terminer avec l’émergence de la problématique de l’identité collective et des nationalités au sens moderne du terme.

PROGRAMME
Séance placée sous la présidence de Monsieur Yves Lehmann,
professeur à l’Université de Strasbourg

14h Ouverture de la séance
14h15 Livres et bibliothèques à Strasbourg et dans sa région du milieu du XVe siècle à la veille de la Réforme, par Monsieur Georges Bischoff, professeur à l’Université de Strasbourg
14h45 Fideicommis, mécénat, vocation publique: la fondation de la Bibliothèque Mazarine au XVIIe siècle, par Monsieur Yann Sordet, directeur de la Bibliothèque Mazarine
15h15 Discussion
15h30 Pause

15h45 Fonder des bibliothèques à l’époque les Lumières en Italie du Nord: les cas de Turin, de Parme et de Milan par Monsieur Andrea De Pasquale, directeur général des Bibliothèques nationales de Milan (Braidense) et de Turin
16h15 Jean-Daniel Schoepflin et les origines de la Bibliothèque publique de Strasbourg, par Madame Magali Jacquinez, étudiante à l’Université de Strasbourg
16h45 Fonder une bibliothèque «nationale» dans un pays sans monarchie autonome: Transylvanie et Hongrie, 1798-1803, par Monsieur Istvan Monok, professeur à l’Université de Szeged, directeur général de la Bibliothèque de l’Académie des sciences de Hongrie
17h15 Discussion et conclusion

Bibliothèque nationale et universitaire,
5 rue Joffre, salles des Conseils
Entrée libre, dans la limite des places disponibles

lundi 17 mars 2014

Conférence d'histoire du livre

Conférence d’István Monok sur
Les cours aristocratiques en Hongrie, XVIe- XVIIIe siècle

La conférence se tiendra le mardi 18 mars à 17h, en grande salle de cours de l’École nationale des chartes, au 19, rue de la Sorbonne, Paris Ve (1er étage).

En savoir plus...
István Monok, professeur et directeur général de la Bibliothèque et des Archives de l'Académie hongroise des sciences. Il est un collaborateur régulier de Histoire et civilisation du livre. Revue internationale, et a notamment publié en français Les Bibliothèques et la lecture dans le Bassin des Carpathes (1526-1750), Paris, Honoré Champion, 2011.

Le château de Sárospatak, centre de la cour des Rákóczi (cliché F. Barbier)
Présentation
La cour royale de Mathias Corvin (†1490) et celle des rois jagellons jouent jusqu’au XVe siècle, dans la vie intellectuelle du royaume de Hongrie, un rôle comparable à celui des cours royales en Europe de l’Ouest. Mais l’occupation de la capitale par les Turcs (1541) et l’absence d’un souverain «national» transforment profondément le rôle des familles aristocratiques pour ce qui concerne l’organisation de la vie culturelle, et la vie de l’Église. Parallèlement, la Réforme protestante progresse au XVIe siècle en Hongrie et en Transylvanie. Cette dernière devient un duché pratiquement indépendant.
Les nouveaux acteurs autour desquels se développe dès lors la vie culturelle dans le pays sont les grands aristocrates, et les cours qu’ils réunissent à leur entour: les Bánffy, Batthyány, Nádasdy, Perényi, Rákóczi, Esterházy, et un certain nombre d’autres. En Transylvanie, le rôle de la cour princière reste dominant, grâce à sa richesse relative par rapport aux cours seigneuriales.
L’aristocratie de Hongrie et de Transylvanie se convertit très majoritairement à la Réforme au XVIe siècle. En revanche, les progrès de la Contre-Réforme et la politique des Habsbourg entraînent un vaste mouvement de reconversion, en Hongrie, au XVIIe siècle. À la fin du siècle, ces territoires sont pleinement réintégrés dans les territoires des Habsbourg: dès lors, la question de la modernité se déploie de plus en plus nettement, à laquelle se joint la nouvelle problématique de l’identité collective, puis nationale.

(Communiqué par l'Ecole des chartes)

dimanche 16 mars 2014

Conférence d'histoire du livre

École pratique des hautes études,
IVe section

Conférence d'histoire et civilisation du livre

Lundi 17 mars 2014

16h-18h
Histoire des bibliothèques de Strasbourg
(2: la période moderne)
par
Monsieur Frédéric Barbier,
directeur d'études
 
Reliure à l'effigide de Jacques Sturm, l'un des trois scolarques de Strasbourg en 1528 (© BGS)
Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2013-2014. Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg). Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand). 
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

jeudi 13 mars 2014

Autour de Paris aux 18e et 19e siècles: les libraires en "villégiature"

Dès le XVIIe et de plus en plus au cours du XVIIIe siècle, les représentants de la noblesse et certains membres de familles aisées séjournent dans des «villégiatures» proches de Paris. L’ouest de la capitale est tout particulièrement apprécié: il bénéficie non seulement de  la proximité des villes (Versailles, Saint-Germain-en-Laye) et des résidences (Marly-le-Roi) royales, mais aussi de la relative facilité de circulation (la route de Paris à Versailles est l’une des plus passantes du royaume), sans oublier l’agrément d’un paysage souvent pittoresque, ni le fleuve lui-même et ses méandres.
Il est particulièrement frappant de voir, au XVIIIe siècle, un certain nombre de représentants parisiens des professions du livre séjourner eux aussi hors la ville, soit en faisant l’acquisition de propriétés plus ou moins importantes, soit en utilisant des biens appartenant plus anciennement à leur famille. Bornons-nous à mentionner, pour ne pas quitter l’ouest de Paris, la famille des Saugrain, installée à Poissy: la collégiale de Poissy conserve aujourd'hui une pierre tombale portant leur patronyme (cliché 1).
Si, en principe, on s’installe dans ces «campagnes» pour quelques jours au moins, et en général pour quelques semaines, il devient possible, à la fin du XVIIIe siècle, d’y faire éventuellement une excursion de la journée.
Par ailleurs, les événements liés à la Révolution bouleversent quelque peu les hiérarchies traditionnelles: nombre de familles de la «librairie ancienne» disparaissent, tandis que de nouveaux venus s’imposent parfois rapidement, alors même que la quantité des biens immobiliers mis sur le marché atteint des sommets à la suite  des confiscations... Mais nous restons plus sur le modèle ancien de la villégiature aux portes de la ville, que sur le celui de la future banlieue.
Le XIXe siècle est le temps du changement, mais celui-ci ne se fait pas de manière linéaire. L'essor des voies ferrées (et celui de la circulation à vapeur sur la Seine) joue bien entendu, un rôle stratégique, puisque les trajets prennent désormais quelques dizaines de minutes, mais la mutation est antérieure, et quelques exemples privilégiés montrent que le modèle du «pendulaire», autrement dit de celui qui travaille à Paris mais qui, parfois, passe la soirée à la campagne, se rencontre déjà sous la Restauration.
Les Levrault ont une maison de librairie à Paris, rue de la Harpe, dès les années 1800. Lorsque Caroline Levrault, née en 1798, épouse en 1822 Jean-Charles Pitois (†1843), celui-ci va prend bientôt la direction des «affaires» dans la capitale. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est, dans une perspective d'anthropologie historique, le genre de vie du jeune ménage qui, en ville, s'installe d'abord rue de l’Est, non loin du quartier traditionnel des libraires. En 1826, alors que son mari travaille toujours à Paris, «Caroline et les enfants» passent l’été à Bagneux, où ils ont d’ailleurs des connaissances, et où la vieille Madame Levrault vient aussi auprès sa fille et de ses petits enfants. Le premier objectif est de faire séjourner les tout jeunes enfants à la campagne (l'air pur, les nourritures saines!), mais Caroline s’inquiète aussi pour son mari:
Je suis seulement peinée de voir que Pitois est si seul, et qu’il vit entièrement du restaurant (…). Marie [une jeune voisine, dans la même situation?] ne se plaît guère ici, et rentre toutes les semaines [à Paris] pour passer deux jours à mettre son ménage en ordre (3 juillet 1826).
Heureusement, le trajet de Paris à Bagneux est suffisamment court pour permettre au libraire de venir à l’occasion passer une nuit sur place. Plus tard (1834-1835), on sera volontiers l'été à Sceaux, avant de louer, pour 800 f. par an, une maison à Issy, où il est également possible de venir pour la soirée. Pitois écrit à sa belle-mère, le 18 juillet 1835:
Ce soir (…) à 5h.1/2, je me sauve à Sceaux embrasser mes chères. J'en ai assez de cette semaine, mais je suis satisfait de tout ce que j'ai accompli…
Mieux, à l’image des banlieusards et autres pendulaires d’aujourd’hui, nous le voyons même profiter du trajet pour travailler sur des dossiers urgents: dans une lettre de l’été précédente (17 juillet 1834), il indique qu’il s’est plongé dans deux manuscrits du chanoine Schmidt, le principal auteur à succès de la maison:
En voici encore deux, La colombe et La guirlande de houblon que j'ai relus ce matin à Sceaux et dans le trajet. La Guirlande est surtout un très bon livre (…) Le style m'en paraît aussi assez soigné…
L’irruption du chemin-de-fer, avec le Paris-Saint-Germain et les deux lignes Paris-Versailles (1837) annoncent les changements radicaux: c’est la banlieue au sens moderne du terme, celle où l'on habite à demeure, qui va bientôt se développer, d’abord dans la petite couronne, et progressivement de plus en plus loin. Les opérations immobilières profitables se mulitplient le long des nouvelles voies de communication, tandis que, sous le Second Empire, il devient même financièrement intéressant de «délocaliser» –à l’image de Paul Dupont, qui installe son usine d’imprimerie à Clichy en 1867 (cliché 2). La banlieue va alors complètement changer d’apparence, et l’agglomération, de mode de fonctionnement: avouons que, pour nombre d'entre elles, ces agréables «villégiatures» anciennes n'évoquent plus guère, pour nous,... la villégiature.

samedi 8 mars 2014

Conférence d'histoire du livre

École pratique des hautes études,
IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre


Lundi 10 mars 2014

16h-18h
Histoire des bibliothèques de Strasbourg (1)
par
Monsieur Frédéric Barbier,
directeur d'études
   
Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2013-2014. Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg). Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand). 
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

mardi 4 mars 2014

Livres et bibliothèques au "désert": Dom Calmet à Senones

Dom Calmet dans sa bibliothèque
Il est de tradition d’insister sur le rôle des «Lumières de la ville» au XVIIIe siècle: c’est en ville que sont établis les professionnels du livre, imprimeurs et libraires, c’est en ville que se trouve la plus grande partie du public (à commencer par le public captif des élèves des différents collèges), et c’est en ville que l’on dispose de collections importantes de livres, dont certaines prennent désormais la forme de bibliothèques publiques.

Tout ceci, qui est attendu, est évidemment exact, mais insuffisant: on trouve en effet de plus en plus souvent, dans d’anciennes maisons religieuses plus ou moins isolées et dans un nombre croissant de châteaux à la campagne, des collections de livres soigneusement entretenues, régulièrement actualisées et dont les aménagements font parfois l’objet de travaux importants. L’intégration géographique sensible dès la fin du XVIIe siècle fait que, même loin de la grande ville, les relations se font plus régulières, et qu’il est désormais possible de s’informer assez rapidement sur les nouveautés éditoriales, pour le cas échéant les faire venir. Le fait que, dans ces petites villes de province, voire dans le plat pays, les amateurs de livres, abbés ou représentants de la noblesse, s’inscrivent parmi les catégories sociales privilégiées fait que, paradoxalement, ils disposent pour leurs achats éventuels et pour l’entretien de leur bibliothèque, de sommes parfois considérables.
Nous insistions, dans notre dernier billet, sur le rôle stratégique de certaines petites vallées vosgiennes assurant un passage plus aisé entre le haut pays de Lorraine et la plaine d’Alsace. Nous voici à la fin du XVIIe siècle: «A quelques lieues de Lunéville, le voyageur [Dom Thierry Ruinart] trouva un autre pays…», avant de s’enfoncer au long de la vallée de la Meurthe pour remonter vers le col de Saales.
Nous sommes ici en pays de mission, avec des maisons comme celles de Moyenmoutier ou encore, dans une petite vallée secondaire, de Senones. C’est en montant dans ces «solitudes» successives que Dom Calmet (qui était né à Commercy) se retirera pour y accomplir une grande partie de sa carrière.
Il n’y a pas à s’arrêter ici sur l’œuvre érudite de Dom Calmet (1672-1757), célèbre déjà en son temps pour ses travaux de philologie et d’exégèse, mais aussi d’histoire régionale, mais nous voudrions insister sur son action dans le domaine des bibliothèques. Dom Calmet, qui a étudié à l’université de Pont-à-Mousson et dans un certain nombre de maisons de son ordre, et qui a séjourné un temps à Paris, est en effet un familier des bibliothèques. Nommé abbé de Senones en 1728, il consacrera la dernière partie de sa vie à l’administration de sa maison, dont il s’attache à accroître les propriétés et dont il achève la reconstruction.
On sait que la célébrité de la bibliothèque de Senones y avait déjà attiré Mabillon, qui y séjourne en 1696 avant de passer en Alsace (voir les Anecdota alsatica). Des aménagements y avaient déjà été entrepris par les deux prédécesseurs de Dom Calmet, les abbés Pierre Alliot et Mathieu Petitdidier. A partir de 1735, Dom Calmet fait installer des boiseries et des grillages pour le nouveau « cabinet », où sont présentés et conservés un certain nombre de curiosités, des monnaies et médailles anciennes, et les manuscrits et imprimés les plus remarquables de la bibliothèque: il s’agit probablement de rayonnages muraux formant des placards fermés par des portes grillagées à serrures.
Parallèlement, l’abbé enrichit les collections, soit en acquérant des ensembles en bloc, soit en faisant venir les nouveautés par le biais de correspondants, dont le libraire Debure à Paris : il
destinait chaque année une certaine somme à cet usage, & il n’a pas cessé pendant toute sa vie d’enrichir sa bibliothèque d’excellens livres, qu’il faisoit venir de Paris, d’Italie & d’Allemagne. 
Le recours aux archives montre que la «somme» dont il est question s’élève ordinairement à 1000 livres. Parmi les acquisitions faites en bloc, citons, en 1736, le «médailler de M. de Corberon», à Colmar, acheté pour 3000 livres, puis, en 1744, le «cabinet de M. Voile», pour la même somme. Le catalogue est repris à partir de 1737, comme en témoignent les mentions datées figurant sur un certain nombre d’exemplaires.
Ces enrichissements successifs expliquent que de nouveaux travaux devront bientôt être réalisés dans la bibliothèque, pour un marché considérable (18 000 livres), à partir de 1748: c’est que la «galerie» doit être agrandie d’un tiers, pour accueillir ce qui devient l’une des plus importantes collections de Lorraine. Quatre ans plus tôt, Dom Calmet notait avec satisfaction que « l’on a achetté quantité de livres » tandis que, en 1755, il signale encore:
On a achevé le grand catalogue de nos livres tant celui des matières que le catalogue des auteurs par ordre alphabétique. Cet ouvrage a exigé près de deux ans de travail au R.S. coadjuteur [en l’occurrence, Dom Fangé, neveu de l’abbé, auquel il succédera plus tard].
Malgré la réalité d’un commerce culturel qui inscrit pleinement l’abbaye dans les réseaux européens des Lumières (Voltaire lui-même est à Senones en 1754), nous sommes pourtant bien dans un «désert». Lorsque Dom Ruinart, chez qui l’érudit religieux se double d’un touriste avant la lettre, quitte l’abbaye pour gagner l’Alsace, il suit la vallée du Rabodeau pour monter vers le Donon:
Nous partîmes de Senones le 16 [septembre], suivant des chemins qui n’en étaient pas: allant à travers les pierres et les roches, tantôt à pied, tantôt à cheval, nous parvînmes par-dessus une suite de montagnes à la plus élevée de toutes, et nous nous trouvâmes dans une vaste plaine (…): ces lieux se nomment chaumes (…). Après avoir visité ces lieux sauvages, nous descendîmes aux mines de fer. Elles se trouvent aux pieds de la montagne dont le sommet porte le château de Salm...

Note bibliographique
Voyage littéraire en Alsace au dix-septième siècle, par Dom Ruinart…, trad. Jacques Matter, Strasbourg, F.-G. Levrault, 1826.
F. Dinago, Histoire de l’abbaye de Senones. Manuscrit inédit de Dom Calmet…, Saint-Dié, Bull. Sté philomatique vosgienne, [s. d.].
Marie-José Gasse-Grandjean, Les Livres dans les abbayes vosgiennes du Moyen Âge, préf. Michel Parisse, Nancy, P.U.N., 1992.