Commençons par la bibliographie matérielle: l’almanach peut se présenter sous la forme d’un simple placard donnant d’abord le calendrier, mais il peut aussi être une «pièce» ou un petit volume in-quarto (par ex., le Grand messager boîteux), voire un gros in-octavo (par ex. l’Almanach royal). Sur le plan du contenu, il peut se borner à des informations simples (la calendrier avec l’indication des fêtes, des dates des foires, etc.), ou présenter, selon le cas le plus courant, une partie de récréation et d’information.
Compost, ou Calendrier des bergers |
Ajoutons que certains titres qui ne sont pas des almanachs donnent un contenu relevant pour partie de ce genre: un exemple très frappant est donné par les livres d’Heures, qui présentent pratiquement toujours un calendrier en tête, et qui remplissent la même fonction que celle de l’almanach, à savoir un vademecum accompagnant le lecteur au fil de la journée, et au fil de l’année. Bref, l’almanach constitue un paradigme qui se décline sous un grand nombre de formes différentes: cette multiplicité, qui rend l’analyse d’ensemble plus difficile, invite à faire appel à des catégories transversales, parmi lesquelles celle de l’innovation de produit semble l’une des plus intéressantes.
L’almanach correspond en effet d’abord à une spéculation éditoriale, qui vise à toucher un lectorat nouveau auquel on propose un ensemble de textes utilitaires et éventuellement récréatifs: le Compost ou Calendrier des bergers, donné pour la première fois par Guy Marchant à Paris en 1491, en est l’un des prototypes (nous lui avons consacré une partie des conférences de l’Ecole pratique des Hautes études en 2008-2009). L’almanach n’a pas d’auteur désigné, mais c’est l’éditeur qui réunit ou qui commande un ensemble de textes dont il pense qu’ils sont susceptibles d’intéresser le lecteur. Guy Marchant se signale de fait, à partir de 1482, comme un professionnel particulièrement novateur, avec la publication de multiples Danses macabres (en 1485), et avec l’introduction en France de la pratique de la marque typographique (M.-L. Polain, Marques des imprimeurs et libraires en France au XVe siècle, Paris, 1926). Le Compost est l’une des «inventions» d’un professionnel qui s’impose rapidement parmi les premiers dans sa branche d’activités.
Nous sommes, dans la seconde moitié du XVe siècle, face à un lectorat élargi, mais qui reste malgré tout limité. Or, l’un des secteurs du marché les plus dynamiques concerne le groupe de ces laïcs plus ou moins fortunés, et qui souvent ont conquis un grade universitaire. Ce sont d’abord eux les nouveaux lecteurs, qui se constituent de petites bibliothèques, et c’est à eux que s’adressent les libraires avec leurs Heures, leurs romans (Mélusine!), et leurs titres dérivés du Compost.
Dans un second temps (après 1480), le lectorat s’ouvre, et une nouvelle forme d’innovation de produit se met en place: l’almanach intègre ce secteur de la «librairie» qui part à la quête d’un public élargi («populaire»), les titres anciens sont déclassés (pratiquement, au sens marxiste du terme), et la «Bibliothèque bleue» de Troyes (pour nous limiter à la France) recycle ces textes désormais destinés à de nouveaux lecteurs. Un troisième temps (le XVIIIe siècle?) est celui de l’approfondissement et d’une possible spécialisation, laquelle peut correspondre à une forme de rationalisation bureaucratique ou autre (notamment dans le cas de l’Almanach royal).
Il conviendrait de prolonger le schéma à l’époque de la «deuxième révolution du livre», la révolution industrielle, mais nous devons ici conclure: rien que de normal si l’almanach, en temps que spéculation éditoriale, obéit à une conjoncture qui renvoie fondamentalement à l'évolution d’ensemble de la branche de l’imprimé (Buchwesen). Dès lors que le livre est devenu une «marchandise», sa conjoncture obéira en effet à la logique générale de la «marchandise», et fera la fortune des professionnels les plus à même de l'exploiter.