dimanche 25 juin 2017

Un libraire érudit

Voici un petit ouvrage susceptible d’intéresser l’historien du livre:
Crapelet, Georges Adrien,
Études pratiques et littéraires sur la typographie, par G.-A. Crapelet, imprimeur. Tome premier,
À Paris, de l’imprimerie de Crapelet, rue de Vaugirard n° 9, MDCCCXXXVII (À Paris, à la librairie de P. Dufart, quai Malaquais n° 7, 1837),
[4-]VIII-407-[1] p., 8°.

Les Crapelet sont une famille originaire du village de Levécourt, situé entre Neuchâteau et Langres, où Antoine Crapelet est aubergiste. Son fils, Charles Crapelet, naît en 1762, et est envoyé par lui à 12 ans pour faire son apprentissage d’imprimeur à Paris: il entre d’abord chez Ballard, alors établi rue des Noyers, avant d’exercer à compter de 1780 comme «prote et correcteur» chez Jean Georges Antoine Stoupe, successeur de Le Breton, rue de la Harpe.
Il s’établit enfin à son compte en 1793, rue Saint-Jean de Beauvais, puis rue de la Harpe (1795). G.-A. Crapelet expliquera:
Lorsque mon père eut transporté son établissement dans le local occupé par Chardon, il lui fallut acheter en même tems les restes séculaires de son mobilier typographique, qui n’auroit pu être déplacé sans tomber en poussière. Il ne conserva que quelques corps de casseaux, avec marbres, et deux presses à boîte et à nerfs, premier modèle des presses, qui remontoit à l’invention de l’imprimerie : elles avoient bien cent cinquante ans d’existence, et firent encore pendant plus de quinze ans un bon service pour les épreuves, qu’un nouveau déménagement seul fit cesser (p. 179).
Charles Crapelet décède en 1809, et son fils, Georges-Adrien, né à Paris en 1789, lui succède. Il s’installera rue de Vaugirard à partir de 1811. Outre la conduite des affaires de l’imprimerie, Georges-Adrien Crapelet se consacre à l’écriture et à l’histoire littéraire, selon le modèle du libraire érudit. Initiateur de la «Collection des anciens monumens de l’histoire et de la langue françoise» en 1826, il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1828. Élu membre résident de la Société des Antiquaires de France en 1829 (il est présenté par Gabriel Peignot), il présidera cette société en 1834. Également l’un des fondateurs de la Société de l’histoire de France (1833), il en devient l’imprimeur attitré. Il donne ces Études pratiques et littéraires en 1837, mais ne pourra pas conduire son projet à son terme (seul le premier volume est paru).
Crapelet, dont la réussite s’était faite d’abord en tant que prote, revient longuement sur cette fonction au fil de ses pages, avec des chapitres comme «Des correcteurs»; «De la correction»; «De la correction des livres imprimés sur manuscrit ou sur copie imprimée d’auteurs vivans»; «De la correction des livres imprimés sur copie imprimée d’auteurs morts». Il revient aussi, p. 31 et suiv., sur les conditions dans lesquelles la Réforme a d’abord été diffusée en France:
Le bûcher fut toujours la dernière raison de la Sorbonne. Cela n’empécha pas les écrits du luthéranisme de se répandre par tout le royaume, et l’esprit de la réforme de s’intoduire même dans les écoles. La Sorbonne ne se lassoit pas de censurer, ni les luthériens d’écrire, ni le parlement de poursuivre les auteurs et distributeurs d’une multitude de mauvais livres…
Au fil du texte, parti à la recherche de toutes les curiosités relevant de l’histoire bibliographique et littéraire, Crapelet indique qu’il a visité Mayence au cours de l’été 1836 (p. II, note). Quelque années plus tard (1841), il cèdera son entreprise à son fils et à son gendre, Charles Auguste Lahure. Chargé par Villemain d’une mission en Italie, il meurt à Nice en 1842.
La page de titre de notre édition porte la charmante marque typographique « aux pensées », avec le phylactère portant la devise: «Elles ne peuvent plus mourir». 

Nathalie Clot, «Georges-Adrien Crapelet et la Collection des anciens monumens de l’histoire et de la langue françoise (1826-1835)», dans Mémoire des chevaliers. Édition, diffusion et réception des romans de chevalerie du XVIIe au XXe siècle, dir. Isabelle Diu, Élisabeth Parinet, Françoise Vieillard, Paris, École nationale des chartes, 2007, p. 105-118. L’auteur signale que la correspondance entre Crapelet et Gabriel Peignot à partir de 1821 est conservée à la BnF, ms. n. a. f. 11197.

mardi 20 juin 2017

Bibliothèques et climat

Tous les spécialistes connaissent la théorie des climats, élaborée notamment par Montesquieu, mais moins nombreux sont ceux qui connaissent les développements qui lui ont été apportés dans le domaine des bibliothèques.
Et pourtant, les historiens de la lecture n’ont pas été sans souligner le fait: en Occident, l’alphabétisation serait plus développée dans les pays du nord. Pour des raisons qui leur appartiennent, ils ont voulu corréler cette caractéristique avec d’autres données: nous serions dans des environnements plus densément peuplés, où la civilisation urbaine est plus développée, où parfois même le choix a été fait, de passer à la Réforme protestante –laquelle, chacun le sait, favoriserait la lecture.
Mais trêve de divagations! Un élément, central, manque à l’équation: le climat.
Nous nous rappelons d’un séjour de recherche effectué, voici quelques années, à la bibliothèque de Wolfenbüttel, au cours de l’automne. De temps en temps, la ville se trouvait, au petit matin, couverte d’une fine couche de neige: la vue par la fenêtre de la maison de Leibniz, n’était pas sans présenter une certaine dimension «pittoresque» (on imagine le tableau accroché dans un musée: «Rue de Wolfenbüttel au petit matin à la mi- novembre, fin du XXe siècle». Au loin, à moitié effacée par la grisaille blanchâtre, une silhouette penchée se hâte dans la bourrasque, avec son filet de pommes de terre).
D’autres fois, plus nombreuses, le vent se levait, parfois aussi la pluie, et il fallait alors gagner la bibliothèque, par des rues à peu près vides, en luttant contre les intempéries. La pénombre régnait encore. Un certain jour, arrivant peu avant 9 heures, trempé, je me présentais devant les deux collègues de service à la porte. En guise de salutations, je m’inspirais d’une phrase du Freischütz de Karl Maria v. Weber: «Ehrliches Bibliothekswetter», m’écriai-je en me mettant à l’abri dans le bâtiment («Magnifique temps pour [aller à] la bibliothèque»). Je me rappelle encore de l’éclat de rire qui accueillit ma proclamation.
Car le point est bien là: dans les pays du nord, où la pénombre règne plus longtemps et où les conditions climatiques sont parfois moins bonnes, la lecture est plus répandue, et la fréquentation des bibliothèques plus forte. Qu’on y pense: la pluie tombe à verse, le ciel est uniformément gris, le vent tourbillonne autour des vieux bâtiments soigneusement calfeutrés. Pourquoi tant d'intellectuels et de lecteurs en Écosse? Et encore, nous ne disons rien de telle ou telle ville d’Europe orientale, et de ses trottoirs couverts de neige plus ou moins fondue et plus ou moins gelée. Si nous sommes en bord de mer, le paysage est tout autant mélancolique, qui évoque les premières scènes de Tristan, sinon celles du Vaisseau fantôme… Quel agrément, quel confort, même, que de se trouver à l’abri, enveloppé dans une douce chaleur tempérée, à lire et à travailler, à l’abri du déchaînement des éléments.
La théorie des climats se borne à constater le fait: on lira plus volontiers à Stockholm qu’à Palerme, on fréquentera plus volontiers les bibliothèques à Bergen qu’à Parme ou à Ancône. Quel agrément, encore une fois, que de passer l’après-midi à la bibliothèque, comme à un club, dans l’une de ces villes parfois peut-être d’apparence un petit peu «froides», et qui appartiennent à la géographie réformée. A contrario, pourquoi aller quotidiennement à la bibliothèque, quand on est dans une ville comme Venise, même en dehors du carnaval (nous excluons de l’analyse les historiens du livre et autres maniaques ou psychopathes)? 
Crédit photographique : © Adam Rzepka - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP
© Estate Gisèle Freund/IMEC Images
L’articulation n’est d’ailleurs pas propre à la seule lecture ni aux seules bibliothèques. Certes, au XIXe siècle, l’ouverture de séances publiques, le soir, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève  de Paris, avait aussi eu pour effet d’attirer des visiteurs venus se mettre à l’abri, et au chaud, et non pas lire (détail amusant: ces «séances du soir» n’ont été ouvertes aux femmes qu’avec un certain retard). Mais, dans un de ses romans, Robert Escarpit nous présente un séminaire hautement spécialisé, et ouvert à tous, qui se tient au Collège de France, devant quatre ou cinq auditeurs, et encore, précise l'enseignant, les jours de pluie seulement. Et Emmanuel Le Roy Ladurie nous rappelle, dans son Paris-Montpellier, que le jeune maître de conférences qu’il était s’étonnait de voir, à partir du printemps, de plus en plus de charmantes étudiantes sur les plages de Palavas-les-Flots et de moins en moins dans les salles de cours. Que l’on ne cherche pas là une lecture a posteriori sexiste: il est très probable que les étudiants étaient aussi nombreux que leurs camarades du sexe féminin à préférer la plage aux salles de cours, mais il est possible que l’observateur ait été moins sensible à leur présence. On le sait, les conditions mêmes de l'observation modifient les résultats de l'expérience...
Oui, pensions-nous, l’articulation est évidente, entre le climat et la fréquentation des bibliothèques, selon une équation trop simple: dehors, moins de chaleur et moins de clarté; dedans, plus de livres et plus de lecteurs.
Pourtant, les événements de ces derniers jours nous incitent à enrichir la théorie générale: notre pays ne subit-il pas une vague de chaleur pénible, surtout dans les villes? Il semblerait bien sûr inutile d’en profiter pour aller s’entasser dans l’espace confiné du métro, mais d’autant plus agréable de jouir de la douce fraîcheur qui règne dans telle ou telle bibliothèque, surtout si elle est ancienne (donc, avec des murs épais, qui gardent la fraîcheur).
Voici un beau sujet d’enquête, que nous proposons à la curiosité sans bornes et à la sagacité infinie de nos administrations. Avec un codicille à plus long terme: dans quelle mesure le changement climatique devrait-il ou non influer sur les pratiques de lecture et sur la fréquentation des bibliothèques? Nous tenons bien volontiers ce blog à disposition pour publier les résultats de l'enquête.

mercredi 14 juin 2017

Journée d'études sur l'histoire de la Réforme

Aspekte der Reformationsforschung
Zur Wirkung der Reformation im deutsch-französischen Grenzgebiet 

Öffentliche Tagung in der
Stadtbibliothek Trier
Freitag, 23. Juni 2017

 
Vorträge:
10:00 Uhr
Prof. Dr. Claudine Moulin (Trier):
„Martinus Luther D – Zur Sprach- und Kulturgeschichte einer Unterschrift“

11:00 Uhr
Prof. Dr. Wolfgang Schmid:
„Katholiken und Protestanten in Trier: Alltag und Fest im Kulturkampf“

Mittagspause

14:30 Uhr
Prof. Fréderic Barbier (Paris):
„Die Anfänge der Reformation in Frankreich: kulturelle Transfers und Buchgeschichte, 1517 – 1523“

Führung
15:30 Uhr
Führung durch die Ausstellung „Caspar Olevian, die Reformation und Trier“
mit Prof. Dr. Gunther Franz

Ausstellung
Das Jahr 2017 steht im besonderen Fokus des 500-jährigen Reformations- festes. Dabei soll auch an das Wirken des aus Trier stammenden Reformators Caspar Olevian und an die Spuren der Reformation in Trier erinnert werden.
Die Ausstellung „Caspar Olevian, die Reformation und Trier“ ist eine Kooperation von Stadtbibliothek Trier, Universität Trier, Trier Center for Digital Humanities (TCDH) an der Universität Trier, Wissenschaftsallianz Trier e.V., Caspar-Olevian-Gesellschaft e.V. sowie Evangelischem Kirchenkreis Trier.
Begleitet und erweitert wird die analoge Ausstellung durch das virtuelle Caspar Olevian Portal (www.caspar-olevian-portal.de), auf dem sich neben den Exponaten umfangreiche weitere Informationen zum Leben und Wirken des Trierer Reformators finden.
Die Ausstellung im Foyer der Stadtbibliothek ist Montag bis Freitag von 9 bis 17 Uhr und Samstag bis Sonntag von 10 bis 17 Uhr geöffnet (Freitag, 7. April 2017, bis Dienstag, 4. Juli 2017). Der Eintritt ist frei. Der aufwendig gestaltete Begleitband zur Ausstellung Caspar Olevian, die Reformation und Trier – Katalog zur Ausstellung in der Stadtbibliothek Trier zum 500. Reformationsjubiläum 2017 und zur virtuellen Ausstellung im Rahmen des Caspar-Olevian-Portals, herausgegeben vom Evangelischen Kirchenkreis Trier, mit Beiträgen von Gunther Franz, Vera Hildenbrandt und Andreas Mühling, ist ab sofort über den Buch- handel zu beziehen und kostet 19,90 Euro. 

Performance
18:00 Uhr Liquid Penguin Ensemble:
DER FALL SOLA
Neueste Sendbriefe vom Dolmetschen
Martin Luther hat vor 500 Jahren die Bibel in verständliche deutsche Sprache übersetzt. Interpretation war dazu notwendig – die immer auch falsch liegen kann – und ein großer Vorrat an neuen Wörtern für Dinge und Zusammenhänge, die das Deutsche zuvor noch nicht hat ausdrücken können. Inspiriert von Luthers Sendbrief vom Dolmetschen hat das Liquid Penguin Ensemble eine Performance zum Reformationsjubiläum 2017 entwickelt und schlägt darin den Bogen bis in unsere vielsprachige europäische Gegenwart: vier Musikerinnen und Musiker, eine Sprecherin und n live-Zeichner erschaffen – unterstützt von einem Chor – ein vergnügliches sprachlich-musikalisch- bildliches Übersetzungsspiel, das viele der in Europa erklingenden Sprachen einbezieht.
mit Monika Bagdonaite (Viola), Julien Blondel (Violoncello), Stefan Scheib (Komposition, Kontrabass, Zuspiel), Kaori Nomura (Piano/Flügel), Katharina Bihler (Text, Stimme), Klaus Harth (live- Zeichnung) und Chorsängerinnen und -Sänger aus Trier; Holger Stedem (Sounddesign), Ulrich Schneider (Licht/Raum), Marcus Droß (dramaturgische Beratung)

Stadtbibliothek und Stadtarchiv Trier Weberbach 25
54290 Trier
Tel: 0651 718 1429
Fax:0651 718 1428
E-Mail: stadtbibliothek@trier.de  
www.stadtbibliothek-weberbach.de

vendredi 9 juin 2017

Conférence d'histoire du livre


École pratique des hautes études, IVe section
 
Conférence d'histoire et civilisation
du livre 

Lundi 12 juin 2017
16h-18h
Les origines de la Réforme en France:
transferts culturels et histoire du livre
(1517-1523)
par
Monsieur Frédéric Barbier,
directeur d'études 

NB: ATTENTION! voir ci-dessous la NOUVELLE ADRESSE DE LA CONFÉRENCE!

La conférence, la dernière de l'année universitaire, sera suivie du pot de fin d'année.
La conférence sera également l'occasion de présenter le programme  de la séance foraine de l'année universitaire 2016-2017, séance qui devrait se tenir à Strasbourg le mercredi 21 juin prochain (voir le programme ici).
 
Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a désormais lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (54 boulevard Raspail, 75006 Paris, salle 26, 1er sous-sol).

Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).



dimanche 4 juin 2017

1517-1521: le nouvel ordre des médias

Que la Réforme protestante constitue un phénomène étroitement lié à l’utilisation du nouveau média de la typographie en caractères mobiles est une caractéristique déjà reconnue par les contemporains eux-mêmes. Le point est repris par beaucoup d’auteurs sous l’Ancien Régime et au XIXe siècle, tandis que les travaux conduits par Elisabeth Eisenstein à partir de la décennie 1970 ont permis d’actualiser cette problématique (Elisabeth Eisenstein, The Printing Revolution in early modern Europe, Cambridge, 1983).
Aujourd’hui, le modèle développé par les historiens du livre articule deux axes principaux d’analyse: si le rôle déterminant du média de l’imprimé est effectivement reconnu, c'est dans une perspective qui met l'accent sur la dynamique de la transformation. De fait, l’irruption de la Réforme introduit dans une large mesure à l’instauration d’une nouvelle «économie des médias». Parmi les caractéristiques majeures de celle-ci, la plus importante réside dans la montée en puissance des Flugschriften, et dans l’émergence rapide d'un espace public que l'on pourrait à bien des égards dire moderne, en ce sens qu'il est articulé autour de l'imprimé. Encore une fois, les contemporains en prennent conscience très rapidement, qui entreprennent de mobiliser systématiquement les techniques de la médiatisation nouvelle, au service, d’abord, de la cause réformée –bientôt aussi au service de ses adversaires, tenant de l’orthodoxie romaine (on pense ici tout particulièrement à Thomas Murner).
Pour autant, un versant spécifique de la problématique est resté curieusement négligé par l'histoire du livre: il s’agit de la question des transferts culturels. Nous n’avons pas à revenir ici sur la problématique générale d’un modèle épistémologique qui, depuis quelques décennies, s’est imposé dans la recherche historique. Si l’écrit, l’imprimé et les médias jouent un rôle décisif dans le fonctionnement même des processus de transferts culturels, il n’en reste pas moins que la problématique de la diffusion des mouvements de Réforme apparus en Allemagne, mais aussi en Suisse, etc., au début du XVIe siècle, n’a pas été réellement envisagée à cette aune.
Le phénomène est pourtant au moins ambivalent. Reprenons la chronologie: nous sommes, d’abord, devant un projet de réforme conduit à l’intérieur de l’Église, par des clercs dont la principale langue d’expression est le latin. L'objet de la discussion, autrement dit les différentes thèses de Luther, n'est pas au sens propre un objet «étranger», lorsqu'il est soumis au tribunal de Sorbonne, en 1520-1521: les pièces en latin circulent sans difficultés dans le monde des universitaires et des clercs, et elles seront même le cas échéant reproduites par des imprimeurs parisiens. La controverse se développe pour la plus grande partie dans un cadre transnational.
La Detrminatio de 1521, éd. parisienne
Mais très rapidement, le glissement s’opère: non seulement les liens avec Rome sont désormais rompus, mais Luther et son entourage tendent à s’adresser directement à l’«homme du commun» et donc à s’exprimer en vernaculaire. Alors même que la primauté du siège de Rome est remise en cause, la dimension révolutionnaire du choix de la langue ne peut pas être sous-estimée: permettre à chacun de lire les textes sacrés revient à supprimer la médiation du clerc, donc implicitement à abandonner la tripartition traditionnelle de la société et à engager la disparition du clergé en tant que premier ordre. Dès lors, on comprend pourquoi la condamnation par la Faculté de Paris ne devrait pas faire de doute: en ce début du XVIe siècle, la Faculté n'est-elle pas toujours détentrice de l'autorité morale de la chrétienté, et ne constitue-t-elle pas une véritable école professionnelle supérieure, chargée de fournir à l'Église universelle des théologiens parfaitement formés? La condamnation ouvre bientôt le temps de la répression, et les premiers bûchers s'allument devant Notre-Dame dès 1523...
Arrêtons-nous ici simplement sur le seul problème linguistique posé dans le cadre des transferts: quel sera le retentissement possible de textes publiés en vernaculaire (en allemand), dès lors que l’on abordera une géographie extérieure au monde germanophone? La question vaut tout particulièrement pour la France, où l’allemand reste, en ce début du XVIe siècle, une langue  très peu répandue en dehors des cercles d’immigrés, lesquels sont surtout présents dans les milieux de l’université, du négoce et, bien sûr, de l’imprimerie et de la librairie…
Lorsque Pantagruel rencontre pour la première fois Panurge, sur la route du pont de Charenton, celui-ci lui semble être un mendiant et lui répond d’abord en allemand, qualifié de «barragouin» inintelligible: À quoy respondit Pantagruel: «Mon amy, je n'entens poinct ce barragouin; pour tant, si voulez qu'on vous entende, parlez aultre langaige…» À Wittenberg comme dans d'autres villes allemandes, et comme à Paris et à Lyon, l'élargissement du public des lecteurs et l'essor de la médiatisation moderne ouvrent désormais aussi le temps des traducteurs, d'une autre réflexion sur le fonctionnement de la langue –et de la mise en place de «librairies» qui deviendront progressivement des «librairies» nationales. On le voit, il est difficile de sous-estimer l'importance des conséquences induites par la nouvelle économie qui est celle du livre réformé.