Né en 1401, Nicolas est le fils d’un négociant et propriétaire de vignobles, Henne (Johann) Kribs, et de sa femme, née Catharina Römer. Ses parents jouissent d'une aisance certaine et sont visiblement attentifs à ce qu’il reçoive une instruction susceptible de l’aider à faire carrière, puisque, après qu’il ait probablement fréquenté l’école latine locale, nous le retrouvons à Deventer, chez les Frères de la Vie Commune, puis à l’université de Heidelberg, où il suit la formation des Arts libéraux, propédeutique aux études supérieures.
Pierre tombale de Clara Kribs, sœur de Nicolas de Cues, † 1473, à Kues (détail) |
À son retour sur la Moselle, il n’a aucune peine à trouver un poste dans l’administration de l’archevêque-électeur de Trèves. Animé par une profonde piété, il souhaite rester dans ce cadre, et refuse à deux reprises l’appel de l’université de Louvain à prendre dans ses murs un poste de professeur.
La carrière de celui que l’on désigne désormais par son lieu de naissance, Nicolas de Cues, est infléchie de manière décisive lorsqu’il est envoyé pour participer au concile de Bâle à partir de 1432, puis qu'il suit le concile à Ferrare en 1437. Cet homme encore relativement jeune, très brillant et d’une profonde piété, est un partisan de la réforme de l’Église, et à ce titre de la supériorité conciliaire (mais en accord avec le pape). Devenu un proche du pape, il poursuivra dès lors une carrière épuisante de prélat et de diplomate voyageant dans une grande partie de l’Europe occidentale, et jusqu’à Constantinople. Fait cardinal au titre de Saint-Pierre aux Liens (1448), puis nommé évêque de Brixen / Bressanone, au Tyrol (Tyrol du sud) (1450), il s’efforce très activement de réformer son diocèse, mais ne pourra en définitive pas se maintenir face à son chapitre, et face l’archiduc Sigismond de Habsbourg. Il décède en 1464 à Todi.
Hôpital Saint-Nicolas à Kues, sur la Moselle |
Les quelque 270 volumes de Nicolas de Cues représentent une collection remarquable par son importance, mais ce sont essentiellement des manuscrits, réalisés souvent sur une commande du cardinal, achetés par lui, ou à lui donnés (il achète 16 manuscrits à Nuremberg en 1444, à l’occasion d’une mission auprès du Reichstag). Le Pontificale Romanum lui a probablement été offert par le pape Nicolas V, tandis que les Œuvres de saint Ambroise portent ses armoiries. La collection possède aussi des textes de philosophie, d’astronomie, etc., outre bien évidemment les œuvres du cardinal lui-même, celles-ci parfois recopiées dans des volumes d’une forme très soignée (par ex. le De Docta ignorantia).
Nous n’y trouvons apparemment qu’un seul titre imprimé, le Catholicon peut-être imprimé par Gutenberg lui-même en 1460, dans un exemplaire sur parchemin: le Catholicon de Balbus est l’une des éditions les plus étudiées par les bibliographes, dans la mesure où il pourrait avoir été réalisé non pas par la typographie en caractères mobiles, mais par un procédé apparenté à la linotypie (en l’occurrence, l’impression par blocs de deux lignes). La plupart des exemplaires ont cependant été tirés sur papier, contre un petit nombre sur parchemin.
La Bibliotheca Cusana |
Les Œuvres de Nicolas de Cues sont données une première fois à Strasbourg en 1488, puis à Paris, par Lefèvre d’Étaples, en 1514 –ce qui ne saurait être un hasard. Enfin, l’Hôpital Saint-Nicolas continue toujours aujourd’hui à fonctionner dans l’esprit du fondateur, et se finance en partie par le revenu des vignobles qui lui ont été légués. Il conserve toujours la Bibliotheca Cusana, celle-ci enrichie par les dons qu’elle a reçus au cours des siècles: Nicolas de Cues ne possédait apparemment qu'un incunable, quand la bibliothèque fondée par lui en compte aujourd'hui 132.
Frédéric Barbier, L’Europe de Gutenberg, Paris, Belin, 2006.
Jakob Marx, Verzeichnis der Handschriften Sammlung des Hospital zu Cues bei Bernkastel a./Mosel, Trier, Sebstverlag des Hospital, 1905 (catalogue aussi les incunables).