Université de Cergy-Pontoise
Programme de recherche PatrimEph
Colloque Les éphémères et l’événement (XVIe-XXIe siècle)
12 et 13 février 2016
Appel à communication
(Texte communiqué par Mme Florence Ferran)
PatrimEph entend ainsi contribuer non seulement à une approche critique du patrimoine mais aussi à l’exploration de ce continent méconnu de nos disciplines de lettres et sciences humaines, particulièrement en France où, contrairement à la Grande-Bretagne, on ne bénéficie ni d’un répertoire pour localiser les fonds d’éphémères, ni d’une nomenclature de référence pour les identifier, les nommer et les classer.
Deux premières rencontres ont d’ores et déjà permis:
1/ de rassembler des collectionneurs, conservateurs et chercheurs en lettres, histoire, histoire de l’art pour dresser un état des connaissances sur les éphémères: nomination et caractérisation de ces documents, identification des acteurs de leur patrimonialisation (éditeurs, imprimeurs, collectionneurs, conservateurs), histoire de quelques fonds d’éphémères caractéristiques, problèmes soulevés par leur exploitation, perspectives de recherches dont ils sont porteurs (Journées d’étude des 17 et 18 janvier 2014, UCP et BNF - Estampes).
2/ d’aborder les éphémères d’un double point de vue taxinomique et épistémologique. Il s’agissait de comparer les typologies adoptées en Europe, de confronter le traitement des éphémères par les Bibliothèques, Musées, et Archives, mais aussi d’interroger les différents usages que pouvaient faire nos disciplines de cet objet encore largement impensé (Journées d’étude des 3 et 4 octobre 2014, BNF-Estampes et Archives Nationales).
Après une première phase lexicale, méthodologique et théorique, valorisée par une publication sur le site Fabula.org prévue cet été 2015, le projet entre dans une seconde phase thématique et historique, avec l’organisation d’un colloque sur les liens entre «Les éphémères et l’événement» qui fera l’objet d’une nouvelle publication.
L’attention portée à la définition, à la nomination, et au classement de ces imprimés a confirmé la nécessité d’un tel effort de conceptualisation et de catégorisation en l’absence d’une typologie de référence en France (et cet effort doit se poursuivre par la tenue d’un séminaire de travail). Elle a également révélé ses limites: d’une part, les éphémères ne sauraient être ramenés à une nomenclature, aussi raisonnée soit-elle, sans prise en compte –et donc connaissance– de leur aspect matériel, des modes singuliers de fabrication, d’utilisation, et de manipulation de ces objets. Matérialité qui, associée à une mémoire des usages, permet seule parfois l’intercompréhension culturelle des éphémères, lorsqu’on se risque à une démarche comparatiste à l’égard d’un champ qui pourrait peut-être bien relever de celui des «concepts nomades».
D’autre part, on saurait difficilement aborder les éphémères hors contexte, ces imprimés étant de fait intrinsèquement attachés aux circonstances, ordinaires ou extraordinaires, qui les ont fait naître. Le colloque «Les éphémères et l’événement» entend par conséquent procéder à une recontextualisation des éphémères, pour étudier leur rôle dans la construction de l'histoire –ou d'histoires–, comprendre la dialectique qu'ils peuvent faire jouer entre l'événement et le quotidien, mais aussi plus largement, réfléchir à leur rapport au temps, ouvrant sur une perception à la fois immédiate et différée de l’événement. En effet, les éphémères parvenus jusqu’à nous s’inscrivent nécessairement dans une double temporalité: d’un côté, ils se caractérisent par leur contingence, un rapport étroit à l’actualité; de l’autre, un éphémère n’est tel que parce qu’il est archivé, patrimonialisé, valorisé, à rebours de son origine; tout simplement parce qu’à l’origine, au moment de l’émission et de la circulation de tels documents, il n’y a pas d’éphémères en tant que catégorie constituée et consciente, mais une multitude de supports voués à des contextes et à des fonctions très différents, et qui tirent précisément leur efficace du fait qu’ils se coulent bien souvent dans une histoire du quotidien voire dans le silence des usages : étiquettes, emballages, tracts, timbres, tickets…
Comment les éphémères s’articulent-ils à l’événement (politique, artistique, culturel)? En sont-ils la trace, le reflet, ou ce qui contribue à le construire comme tel? Dans quelle mesure les éphémères nous permettent-ils de mettre en rapport une histoire de l’événement et une histoire du quotidien? Quelle valeur peuvent prendre hors de leur contexte d’origine ces documents qui en sont si fortement tributaires? Telles sont les questions qui pourront être évoquées.
Stable, accidentel, anecdotique, historique, trivial, fantastique, privé, public, individuel ou collectif…: «l’événement» est une notion diverse, pour ne pas dire fuyante, qui gagne à être repensée en rapport avec les éphémères. La définition des éphémères qu’a donnée Maurice Rickards, «the minor transient documents of everyday life» situe ces documents à l’horizon d’une histoire non factuelle, une histoire du long terme et de la vie quotidienne, ou encore d’une sociologie des usages voire d’une anthropologie. «L’événement» ici peut s’étendre à «tout ce qui arrive»: nombreux sont les éphémères qui scandent ainsi les événements traversés par l’individu au cours de sa vie personnelle ou sociale. Pensons à titre d’exemple, sur le plan de la spiritualité, aux images pieuses (communion, images de pèlerinage, etc.); sur le plan scolaire, aux bons points ou aux diplômes; aux menus, faire-part, affichettes ou autres documents par lesquels se lisent des rites sociaux importants (mariage, deuil…). L’éphémère serait la ponctuation imprimée d’une vie; pour l’analyser et le comprendre, il faut alors le replacer dans le contexte non seulement d’une biographie, mais d’une anthropologie qui restitue les rituels d’une communauté, dans lesquels les éphémères peuvent devenir des jalons essentiels.
Pourtant les éphémères portent aussi la trace des événements collectifs, qu’il s’agisse de manifestations officielles, de phénomènes politiques et religieux (rapportés par les livrets, brochures, opuscules, libelles, pamphlets) ou bien de simples faits divers: on retrouve là toute la tradition des canards de l’Ancien Régime, étudiés en France dans les années 1960 par Jean-Pierre Seguin, et plus largement des occasionnels et autres pièces de circonstances, auxquels Nicolas Petit consacre un chapitre de son étude des éphémères de la bibliothèque Sainte Geneviève en 1997. Les éphémères participent ainsi à la construction de l’événement à travers plusieurs phénomènes:
- un effet d’officialisation ou de publicité, quand les éphémères sont produits pour faire événement;
- un effet de prolifération, qui s’intensifie à partir du XIXe siècle, lorsque ces documents sont susceptibles d’être fabriqués en masse;
- un effet de politisation et d’appropriation de l’espace public, avec l’ambition d’agir sur l’opinion;
- un effet de patrimonialisation quand les éphémères sont précocement (parfois au moment même de leur diffusion) collectés, conservés et archivés, par des acteurs privés ou publics qui leur attribuent une valeur de témoignage, en lien avec une actualité jugée historique (cas des journaux de tranchée). L’éphémère devient ainsi une archive du présent, au présent;
- un effet diffusion et la transmission d’une mémoire collective à travers la perpétuation de personnages, de faits, de représentations iconiques qui deviennent plus ou moins des stéréotypes (voir l’illustration des canards ou occasionnels, souvent interchangeable);
- un effet de démocratisation, partagé avec la presse périodique: «transformé en fait divers, l’événement est sorti de l’histoire ou plutôt, il a réduit celle-ci à la dimension du quotidien, achevant ainsi un étrange processus de démocratisation qui passe par la désacralisation et la réduction de l’événement au banal, à l’ordinaire, ce qui est la fonction de l’étalage du sang à la Une dans les quotidiens».
Le rapport entre éphémères et événements pourra ainsi être abordé sous l’angle de l’histoire de l’imprimé, des sciences de l’information et de la communication, de la médiologie, de l’anthropologie. Il bénéficiera aussi des modes de questionnement propres aux disciplines, lettres, histoire de l’art, histoire, représentées dans le projet PatrimEph:
- Quelles formes d’écritures (narration, satire, merveilleux, controverse…) sont mobilisées par les éphémères pour représenter l’événement, l’interpréter, mais aussi « faire événement », non sans ambition performative? Comment ces instruments de l’action sont-ils destinés à être lus? Christian Jouhaud a ouvert la voie en 1986 avec son étude littéraire des Mazarinades publiées pendant la Fronde, leurs modes d’énonciation et de réception, les liens qu’elles établissent entre l’écrit et l’oral, les textes et les images .
- Qu’est-ce qu’une image éphémère –associée ou non à un texte–, son format, ses choix graphiques et typographiques, traduisent de l’événement? À quel public s’adressent ces représentations, dans quels espaces?
- Quelle place donner aux éphémères dans la reconstitution historique d’un événement? L’éphémère a ceci de particulier que, produit et consommé au moment des faits, il garde la trace intacte de leurs caractères. Mais quelle lisibilité, quelle intelligibilité conserve-t-il a posteriori, et faut-il absolument ou à quelles conditions lui conférer le statut de source? Que ressort-il de sa confrontation avec d’autres types de supports? Autrement dit les éphémères répondent-ils, au même titre que d’autres documents, à la demande de sens suscitée par l’événement?
Comme l’a écrit Jean-Yves Mollier dans le cadre d’une réflexion sur la presse, «(…) [Des événements], il n’en exista que des perceptions, des représentations, diverses et fragmentaires, souvent opposées les unes aux autres, qu’elles aient été fantasmées ou embellies, et il est difficile, même en croisant la totalité des sources disponibles, de les cerner avec précision. Pour y parvenir, la comparaison des supports de communication et de la transmission à la mémoire de ce qui s’est, un jour, produit, est essentielle….» Un questionnement s’est engagé de longue date sur les rapports entre la presse et l’événement. La réflexion que nous souhaitons mener sur les éphémères bénéficiera de la réflexion engagée à propos des périodiques (Jean-Pierre Seguin mettait déjà en relation les deux) tout en se donnant pour objectif d’interroger le mode de saisie spécifique de l’événement par les imprimés éphémères, quitte à confronter, autour d’un même événement, le traitement opéré par ces deux types de supports, chacun d’eux étant de surcroît caractérisé par la grande diversité et l’extrême porosité des nombreux genres qu’ils recouvrent.
On évitera les contributions monographiques et on veillera à ce que les communications portent bien sur les interactions entre les éphémères et l’événement, en s’intégrant aux quatre axes de réflexion suivants:
1/ Dimensions
Événements privés et publics, individuels et collectifs: quelles articulations, quels glissements permettent d’opérer les éphémères?
2/ Actions
Production, diffusion, circulation des éphémères: comment les éphémères contribuent-ils à construire l’événement?
3/ Effets
Démocratisation, désacralisation, vulgarisation: quelle lisibilité, quelle intelligibilité l’éphémère donne-t-il de l’événement?
4/ Temporalités
Statuts, valeurs, relativité des corpus: comment les régimes de temporalité agissent et sur la valeur de l’éphémère et sur la perception de l’événement?
Merci d’adresser vos propositions de communication avant le 10 juillet aux adresses électroniques suivantes : olivier.belin@u-cergy.fr et florence.ferran@u-cergy.fr
Comité scientifique de PatrimEph : Lise Andriès (Sorbonne-CNRS), Olivier Belin (Université de Cergy-Pontoise), Annie Duprat (Université de Cergy-Pontoise), Florence Ferran (Université de Cergy-Pontoise), Julie Anne Lambert (Oxford, Bodleian Library), Corinne Le Bitouzé (BNF), Jean-Yves Mollier (UVSQ), Philipphe Nieto (AN), Denise Ogilvie (AN), Romain Thomas (UPONLD), Bertrand Tillier (Université de Bourgogne), Michael Twyman (University of Reading).