Cf légende infra, à la fin du texte |
La ville de Strasbourg, encore pour quelque temps une petite république indépendante membre du Saint-Empire romain germanique, s’insère elle aussi dans cette chronologie, avec la construction et l'organisation d’une bibliothèque moderne dans le cadre de la Haute École (Académie). Quelques années plus tard, l’Académie reçoit de l’empereur le privilège d’université de pleins droits.
À Paris, les Mauristes se lancent parallèlement dans leur gigantesque travail de collecte et de critique des sources: l’animateur de l’enquête est Dom Luc d’Achery (1609-1683), le savant bibliothécaire de Saint-Germain des Prés. C’est lui qui, en 1664, appelle Dom Jean Mabillon, et le forme à la recherche. Huit ans plus tard, en 1672, Mabillon entreprend un premier voyage d’étude et de collecte dans les grandes bibliothèques des maisons religieuses des «anciens Pays-Bas». Il gagne Lille, d’où il continue, d’abord à pied, vers Tournai, puis Saint-Amand et Saint-Ghislain, avant de poursuivre vers le nord jusqu’à Louvain. Il reviendra à Paris par Saint-Bertin, Saint-Riquier et Beauvais.
L’abbaye de Saint-Amand est précisément alors dirigée par Dom Jacques Dubois, qui travaille notamment à en enrichir la bibliothèque, et qui la fait reconstruire. Le fonds des manuscrits est déjà en partie connu, puisque son catalogue préparé par Dom Ildephonse Goetghebuer (285 manuscrits) avait été publié dans le premier volume de Sanderus. Mabillon, qui ne reste certainement que quelques jours à Saint-Amand, y découvre pourtant un manuscrit du IXe siècle, figurant d’ailleurs dans Sanderus (n° 112 F): il s'agit de sermons de Grégoire de Naziance, à la fin desquels le savant bénédictin a l’attention attirée par quelques feuillets portant une suite de textes plus courts, les uns en latin, les autres en langue vernaculaire, roman et vieil haut-allemand. Il a certainement remarqué le texte de la Cantilène de sainte Eulalie, aujourd’hui célèbre pour constituer le plus ancien texte connu en langue française, mais son attention se porte aussi, sur le même feuillet, par ce qui semble être un poème en vieil haut-allemand. N’étant pas lui-même germaniste, il ne peut le publier, mais en prend rapidement la copie.
Dom Mabillon, à St-Germain-des-Prés |
Les pièces liminaires, deux lettres de Schilter à Mabillon et plusieurs autres documents, permettent de reconstituer le cheminement du dossier –ce qui est toujours de bonne méthode archivistique. Dans l’intervalle en effet, Mabillon avait souhaité reprendre son étude et disposer pour ce faire d’une collation précise du manuscrit, collation qu’il ne lui avait certainement pas été possible de prendre lors de son trop bref passage de 1672. Il s’adresse pour ce faire à Dom de Loos, qui se rend de Tournai à Saint-Amand au début de 1693: malheureusement, une voûte de la nouvelle bibliothèque s’est effondrée, les volumes sont restés en désordre (apparemment, les religieux manifestent moins d’intérêt pour leur bibliothèque…), et le manuscrit reste introuvable – comme Dom de Loos, le déplore, dans sa lettre du 9 mars à son savant confrère parisien.
Si la publication de 1696 donne par conséquent l’état de la question à cette date, elle constitue aussi un exemple emblématique de la collaboration engagée au sein des réseaux savants européens, pour approfondir un problème scientifique. Par ailleurs, la plaquette illustre pleinement la mise en œuvre de la méthode historico-critique dans le champ de la philologie allemande: après les pièces liminaires, Schilter publie en effet le texte d’origine, et en propose une traduction latine suivie de commentaires détaillés. De plus, le texte est enrichi de deux planches en dépliant, la première donnant un fac-similé d’inscription en vieil haut-allemand, et la seconde, une généalogie de la dynastie carolingienne. On rappellera, à titre ici plus anecdotique, que le manuscrit de Saint-Amand, avec la Cantilène de Sainte-Eulalie, ne sera redécouvert qu’après son transfert au dépôt littéraire de Valenciennes sous la Révolution, et par un autre philologue allemand, Hoffmann von Fallersleben (1837).
Quand au libraire qui a financé la publication, Johann Reinhold Dulsecker (parfois orthogr. Dulssecker, 1667-1737), il mériterait certainement une étude plus poussée, comme étant l’un de ces acteurs discrets, mais réellement importants, ayant travaillé à la diffusion de connaissances scientifiques parfois très novatrices à Strasbourg au tournant du XVIIIe siècle. On ne peut que souligner le soin donné à la qualité matérielle de la plaquette, avec notamment la présence d'un cuivre gravé censé illustrer la bataille de Saucourt-en-Vimeu dont il est question dans le texte (cf cliché).
Epinikion rythmo teutonico Ludovico regi acclamatum, cum Morthmannon anno 881 vicisset, per Jo. Mabillon descriptum, interpretatione latina et commentatione historia illustravit Jo. Schilter, Argentorati, Sumptibus Joh. Reinholdi Dvlsseckeri, 1696, ill., 2 tabl. dépl.
Mangeart, n° 143 (ancien B-5-15). Molinier, n° 150.
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