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lundi 2 novembre 2015

Les Saxons de Transylvanie et la culture livresque (XIIe-XVIIIe siècle)

Le vojvodat de Transylvanie est organisée au XIIe siècle, en particulier par Geza II, roi de Hongrie († 1162), mais son peuplement est probablement très lâche. C’est alors que des populations originaires de la vallée inférieure du Rhin (archevêchés de Cologne et de Trèves, évêché de Liège) commencent à s’installer dans le pays. Il est aussi possible que les premiers parmi les nouveaux colons soient passés à l’occasion de la deuxième croisade (1147-1149) en Europe centrale et orientale, avant de s'y fixer. La voie principale d’accès est celle du Danube, puis de la Tisza et du Körös. Vers le sud (Constantinople), le débouché le plus aisé se fait par la vallée de l’Olt (alld Alt) et le défilé de la Tour Rouge.
Au pays saxon: vue du haut du clocher de Probstdorf / Stejărișu
On désigne ces populations du terme générique de «Saxons» (alld Sachsen, lat. Saxones, hongr. Sász). Leur émigration se poursuivra au XIIIe siècle, après que le roi Andras II leur ait octroyé des lettres de privilège en 1224 (Goldener Freibrief): c’est l’origine du terme de «sept châteaux» (les villes de Hermannstadt / Sibiu, Kronstadt / Brassó, Klausenburg / Cluj, Mühlbach / Sebeș, Schäßburg / Sighișoara, Mediasch / Mediaș et Bistritz / Bistrița). L'appellation allemande de la Transylvanie se réfère à cette situation (Siebenbürgen), mais plus que de «châteaux», il conviendrait de parler de «sièges» (Stühle). De fait, les sept villes principales sont des pôles assurant de manière indépendante les fonctions essentielles d’administration et de justice: elles bénéficient, avec leurs plats-pays, d’une sorte de liberté collective.
Pour plusieurs d'entre elles, le succès vient de leur position à un point de contrôle stratégique des grandes routes commerciales: Oradea / Großwardein, dans les Partium, contrôle la principale voie d'accès vers l'intérieur du pays, par le Körös Rapide et le col du roi (Király hágó), route au débouché de laquelle on trouve précisément Klausenburg. De même, Kronstadt est située sur le versant nord du col permettant d'accéder à Sinaia et à la Valachie. A contrario, les Saxons s’établissent peu à peu aussi dans d’autres régions du bassin des Carpates.
Fragment du premier imprimé conservé en Transylvanie (© Bibl. Telekiana)
Ces Saxons forment l’une des «nations» (universitas) constitutives du vojvodat (puis de la principauté) au Moyen Âge et jusque dans les dernières décennies du XVIIIe siècle. Ils bénéficient de privilèges considérables, s’agissant des territoires qu’ils occupent (le Königsboden, «terre du roi»), ainsi que d'exemptions d’un certain nombre de charges (par ex., les droits de douane). En tant que «nation», ils ont une diète (Stände), et seront cosignataires de l’«Union des trois nations» (Unio trium nationum) constituée en 1437 pour contrer la montée du péril ottoman. Les célèbres églises fortifiées qui subsistent dans un grand nombre de villages (mais aussi les fortifications urbaines, par ex. à Hermannstadt) témoignent de la volonté de se prémunir contre les razzias ponctuellement effectuées dans tout le pays depuis les versants extérieurs des Carpates.
Dans le pays saxon, la langue usuelle est l’allemand (plus exactement, un dialecte allemand), tandis que l’économie s’appuie à la fois sur l’agriculture, l’élevage et la sylviculture, mais aussi sur l’exploitation minière (or, argent, sel) et sur le négoce. Ces différentes communautés feront rapidement, au XVIe siècle, le choix de la Réforme luthérienne. Kronstadt passe à la Réforme en 1542 (cliquer ici pour les détails), et l’Universitas Saxonum adopte en 1550 les dispositions prises dans cette ville. Le premier évêque luthérien (Superintendent), Paul Wiener, originaire de l'actuelle Slovénie, est nommé en 1553-1554 et l’Église luthérienne de Transylvanie est organisée en 1572 au synode de Mediasch. Son siège, d’abord établi à Hermannstadt, est alors transporté à Birthälm / Berthalmo, où il restera jusqu’en 1867, date de la signature du Compromis autro-hongrois. En 1568 enfin, la diète de Torda / Turda promulgue la liberté de culte (luthérien, calviniste et catholique, les orthodoxes étant seulement tolérés) dans la principauté –un exemple alors pratiquement unique en Europe.
Il n’y a rien de surprenant à ce que les communautés saxonnes jouent un rôle clé dans la diffusion de la culture écrite à travers le pays. L’essor du négoce s’appuie toujours sur l’écriture (pour la correspondance et pour la comptabilité), tandis que des jeunes gens sont envoyés par les villes (comme par certains nobles) pour poursuivre leurs études dans les universités occidentales, au premier rang desquelles Vienne. Bien entendu, les Saxons entretiennent des relations très régulières avec les pays allemands, où l'imprimerie est inventée et où elle commence d'abord à se répandre. Les premières presses typographiques apparaissent dans la province à Hermannstadt en 1525, avec l’atelier de Lukas Trapoldner et de Valentinus Corvinus. Les imprimeries se multiplient rapidement au XVIe siècle, alors que l’on commence aussi à travailler pour l’Église orthodoxe.
Palais Brukenthal à Hermannstadt / Sibiu
Bien entendu, l’instauration de la Réforme s’accompagne de la fondation d’écoles et de bibliothèques, et cela jusque dans les localités rurales: les travaux de recensement aujourd’hui largement avancés ont permis de retrouver, de mettre à l’abri et de cataloguer un grand nombre de ces petites collections de livres, parfois stockées dans les clochers des églises. Les villes plus importantes abritent, quant à elles, des institutions assurant l’enseignement secondaire (Gymnases), voire supérieur (Hautes Écoles), comme encore une fois à Kronstadt.
Un personnage illustre pleinement la réussite des grandes familles de la bourgeoisie négociante des villes saxonnes: il s’agit de Samuel Brukenthal (1726-1805), fils d’un administrateur royal, étudiant à Halle et Iéna, franc-maçon et intégré très jeune aux élites des Lumières européennes. Rentré en Transylvanie en 1745, il se marie avec la fille du maire (Bürgermeister) de Hermannstadt, ville dans laquelle il est reçu à la bourgeoisie. Il occupe d’abord un poste dans l’administration urbaine, avant d’être nommé membre d'une délégation envoyée auprès de Marie-Thérèse à Vienne en 1753.
Nommé conseiller de gouvernement, Brukenthal travaille à une réforme des impôts, et est anobli, puis il est nommé à la tête de la Chancellerie de Transylvanie à Vienne (1765). Parallèlement, il a peu à peu entrepris d’organiser sa propre collection de livres en bibliothèque ouverte, laquelle est confiée d’abord au jeune Samuel Hahnemann. En 1802, il prévoit par testament de léguer son palais (sur la grande place de la ville), ses collections d’art et sa bibliothèque à la communauté luthérienne de Hermannstadt: il décède l’année suivante, mais le «Musée Brukenthal» ne sera en réalité accessible au public qu’à partir de 1817. Il est aujourd’hui toujours conservé, même si on ne peut que regretter les difficultés de gestion qui touchent sa bibliothèque…
Samuel v. Brukenthal (© Bibliotheca Telekiana)

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