Firenze, Leo S. Olschki, 2014 (n° 1-3),
« Incunabula. Printing. Trading. Collecting. Cataloguing. Atti del convegno internazionale, Milano 10-12 settembre 2013 », éd. Alessandro Ledda.
Nous avions, en son temps, signalé la tenue de ce colloque novateur sur les incunables. Les Actes en viennent de paraître dans la revue La Bibliofilia, sous la forme de perfection exigée par celle-ci, et garantie par le nom de l’éditeur commercial, la maison Olschki, de Florence. Le sommaire du numéro donne une idée de la richesse du contenu et de son intérêt pour les historiens du livre.
Edoardo Barbieri, directeur de La Bibliofilia, précise, dans l’introduction (Introduzione), un certain nombre de points concernant l’environnement scientifique dans lequel le colloque s’est tenu: il s’agissait du programme national de recherche lancé en 2009 sur les incunables de Lombardie. D'autres travaux collectifs ont par ailleurs été conduits sur l’économie des incunables, qui ont donné lieu à des publications, tant à Munich qu’à Tours (CESR), etc., travaux dont l’organisateur rappelle les références.
Mais arrêtons-nous, pour aujourd’hui, sur la première contribution, dans laquelle Piero Scapecchi envisage l’étude des exemplaires imprimés circulant en Italie avant l’apparition de l’imprimerie à proprement parler («Esemplari stampati a caratteri mobili presenti in Italia prima dell’introduzione della stampa», p. 9-15). Nous sommes très heureux de voir en l’occurrence mise en œuvre, même brièvement, une direction de recherche sur laquelle nous avons à plusieurs reprises attiré l’attention: l’histoire de la librairie, autrement dit l’histoire de la diffusion et de la circulation des imprimés, constitue peut-être l'élément clé de l’histoire générale du livre. Nous connaissons d'ailleurs un certain nombre de régions qui n'accueillent l’imprimerie qu’avec un certain retard (par exemple, le Nord de la France actuelle, Flandre, Artois et Picardie), mais où les imprimés circulent pourtant très tôt et en nombre (témoin la Bible à 42 lignes achetée par l’abbaye Saint-Bertin de Saint-Omer).
Les marchés sont en effet rapidement intégrés sur le plan géographique, et les imprimeurs de Mayence et des autres premiers centres typographiques diffusent par le biais des réseaux négociants préexistant, bientôt aussi par des «voyageurs», tandis que les «publicités» imprimées apparaissent aussi. Ursula Rautenberg a récemment repris, pour les pays germanophones, le dossier de ces premiers diffuseurs («Verbreitender Buchhandel im deutschen Strachraum von circa 1480 bis zum Ende des 16. Jts»). En Italie, où l’imprimerie est implantée en 1465, Piero Scapecchi repère notamment, avant cette date, plusieurs exemplaires du Rationale de Guillaume Durand (Mayence, Fust et Schoeffer, 1459: voir ici l’exemplaire de la Bayerische Staatsbibliothek): le fait que certain de ces exemplaires italiens soient aujourd'hui conservés à Paris souligne à nouveau l’intérêt, pour l'historien, de disposer de catalogues précisant leurs particularités.
Le Rationale de 1459: exemplaire de la Bayerische Staatsbibliothek |
La précocité de ces acquisitions témoigne de la vigueur d’une demande que l’économie des manuscrits ne suffisait plus à couvrir. La politique de Fust et Schoeffer est d'abord de fournir en «usuels», dans le prolongement de la Bible de Gutenberg, les grandes bibliothèques ecclésiastiques et celles appartenant à un certain nombre de prélats. La forme matérielle du Rationale témoigne de ce qu'il s'agit d'un texte auquel on accorde une grande importance: un in-folio à deux colonnes densément imprimées, dans une typographie nouvelle ayant supposé des investissements lourds, sans oublier que nombre d’exemplaires en sont donnés sur parchemin (par ex. celui de la bibliothèque de la cathédrale de Cologne, les deux de Nuremberg signalés par l’INKA, mais aussi celui de Santa Giustina de Padoue, etc.), et qu'ils sont parfois enluminés.
Piero Scapecchi poursuit son enquête avec des exemplaires italiens de deux autres titres mayençais, les Constitutiones de Clément V (1460) et la Bible à 48 lignes de 1462, avant de revenir sur la mention du prix d’achat du Rationale de Santa Giustina: 18 ducats, ce qui constitue une somme rien moins que négligeable (l’auteur indique, à titre de comparaison, que Bartolomeo Platina reçoit un salaire mensuel de 10 ducats). Il termine son étude en signalant la présence précoce en Italie de revendeurs de livres, dont des imprimés, dès avant 1465: Albertus Liebkint est un Strasbourgeois installé à Florence, et il est peut-être lié à Fust et Schoeffer et à Mentelin; et Sweynheym et Pannartz eux-mêmes distribuaient très probablement dans la péninsule les productions de Mayence.
Sur le prix des incunables: Paolo Cherubini [et al.], «Il costo del libro», dans Scrittura, biblioteche e stampa a Roma nel Quattrocento…, éd. Massimo Miglio, Città del Vaticano, Scuola Vaticana di Paleografia, Diplomatica e Archivistica, 1983, p. 323-553.
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