Cette problématique intéresse aussi l’historien du livre: elle engage en effet des travaux sur la géographie de la production et de la diffusion des imprimés, sur la question de l’acculturation et de l’identité, sur l’équilibre changeant entre les langues d’édition, ou encore sur le système colonial et sur les rapports de forces entre colonies et métropoles. Depuis le XVe siècle en effet, la mondialisation passe, et d’abord aux Indes occidentales (aux Amériques), par le biais d’un modèle d’organisation spécifique, qui est celui de la colonie: colonies espagnoles et portugaises (qui correspondent peu ou prou à la géographie de l’Amérique latine), puis colonies françaises et anglaises (dans certaines îles des Antilles et en Amérique du nord), sans parler des colonies néerlandaises et françaises.
La chronologie et les modèles de développement des activités du livre se déploient outre-Atlantique selon des systèmes et des rythmes très différents, que le comparatisme met bien en évidence. Les premières universités sont créées par les Espagnols à Mexico et à Lima dès le milieu du XVIe siècle, tandis que les presses «gémissent» dans ces deux mêmes villes respectivement dans la décennie 1530 et en 1584. Vers le nord, la première presse anglaise ne fonctionne que deux générations plus tard, en 1640 à Cambridge (Mass.), tandis que les colonies françaises du Saint-Laurent restent sur la logique de la seule importation des imprimés depuis la métropole. Le Brésil des Portugais reste lui aussi en retard, jusqu'à l'installation de la cour de Lisbonne à Rio, en 1807. Conséquence principale, et souvent ignorée: jusque dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’Amérique développée désigne d’abord l’Amérique espagnole. Le rattrapage de l’Amérique anglaise à partir de la fin du XVIIe et au cours du XVIIIe siècle en sera d’autant plus spectaculaire, et cela vaut aussi dans le domaine de l’imprimé.
La Salle des Actes à l'Université de Cordóba (Ar.) en 2015 |
Vers le nord, les Treize colonies anglaises émergent seulement dans le deuxième quart du XVIIe siècle, mais selon un modèle tout différent. C’est une colonie de peuplement et d’exploitation, qui approfondit son installation sur place sans d’abord chercher à s’étendre –à la fin du XVIIIe siècle, la limite des Appalaches sera à peine atteinte, et la saisie du continent nord-américain ne se fait, comme on sait, qu’au XIXe siècle, grâce au chemin de fer. Les conditions des activités de l’imprimé y sont rapidement tout autres. En un siècle, les Treize colonies voient leur population multipliée par vingt (de 55 000 hab. vers 1670 à deux millions à la veille de l’indépendance). La production imprimée s’accroît parallèlement, et conquiert son autonomie par rapport à celle de la métropole: on estime que, de 1639 à 1799, quelque 50 000 titres sont publiés, tandis que le processus de la publicité (Öffentlichkeit) s’appuie sur un média spécifique, véritable forum des nouvelles communautés, celui de la presse périodique (dès 1695 à Boston). Benjamin Franklin en sera bientôt une icône planétaire (car la mondialisation ne va pas sans une forme de médiatisation elle-même mondialisée)...
Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, le temps de la rupture est atteint, et l’on entre, d’abord à Boston et à Philadelphie, dans la phase de déclenchement de la « révolution atlantique » –laquelle se prolongera d’abord en France et en Europe, puis en Amérique du Sud au début du XIXe siècle…
Mille mercis à vous! Il toujours précieux de recueillir des encouragements!
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