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mercredi 20 mai 2015

La Champagne: portrait historique d'une province

La traditionnelle séance foraine de la Conférence d'Histoire et civilisation du livre se déroulera le 28 mai prochain à la Médiathèque de l'Agglomération troyenne (détails ici). Nous inaugurons aujourd'hui la publication de quelques billets destinés à introduire à cette journée.

La Champagne est une région connue de partout, mais qui paradoxalement reste difficile à situer avec précision: la désignation elle-même est indécise, puisque la «champagne» (campagne) désigne une «vaste étendue de plat pays (…). La campagne par excellence est d’ailleurs la Beauce ou la Champagne» (Robert historique). À l’étranger, le mot est surtout répandu à cause du vin, la capitale «du» Champagne étant bien évidemment Reims.
La caractéristique première de la Champagne est de constituer la marche orientale du Bassin Parisien. Les deux principales vallées qui la parcourent sont celles de la Seine et de la Marne, avec leurs grands affluents, l’Aisne, puis l’Aube et l’Yonne vers le Sud. Son réseau fluvial fait de la Champagne  un espace de convergence, qui débouche à la fois vers la Manche (bassin de la Seine), vers la mer du Nord (bassins de la Meuse et de la Moselle) et vers la Méditerranée (bassin du Rhône). À hauteur de Saint-Seine l’Abbaye, la distance entre l’Oze (sous-affluent de la Seine) et la Suzon (sous-affluent de la Saône) est au plus de 2km… 
Nous sommes, logiquement, sur des routes commerciales très anciennes entre la Méditerranée et l'Europe du nord-ouest, comme en témoigne la découverte du trésor de Vix en 1953 près de Châtillon-s/S. La province est parcourue d’itinéraires romains de première importance, décrits par la Table de Peutinger. De Lyon, capitale des Gaules, la via Agrippa traverse Chalon-s/Saône (Cabilionum), avant d’atteindre Langres (Andemantunum), dans un site fortifié remarquable tout proche des sources de la Marne. Reims (Durocortorum) et Troyes (Augustobonum) sont sur les itinéraires du nord, tandis que la route de la Seine passe notamment par Sens (Agendincum). Le troisième itinéraire majeur est celui de la Moselle en direction de Metz (Durimedium Matricorum), de Trèves (Augusta Trevirorum) et de la vallée du Rhin (Mayence/Mogontiacum).
Un puissant oppidum fortifié: Langres
Le rôle de cette véritable dorsale de l’empire romain d’Occident se retrouve dans la géographie ecclésiastique et politique: Lyon est la primatiale des Gaules, de même que Mayence sera celle de Germanie (son archevêque-électeur est aussi archichancelier d’Empire); Langres est le siège d’un évêché dont le titulaire porte les titres de duc et pair du royaume; Sens est la capitale d’une province romaine stratégique, et sera plus tard la métropole de Paris; Reims, également archevêché, sera la ville du sacre royal; Metz est, à l’époque mérovingienne, la capitale du puissant royaume d’Austrasie; quant à Trèves, elle est un temps capitale de l’Empire romain d’Occident, et sera le siège d’un des trois archevêques électeurs du Saint-Empire.
Ces mêmes routes seront en partie celles suivies, au XIe siècle, par les communautés juives remontant du sud (rappelons que Troyes est la ville de Rachi), et c’est encore cette position qui fera la fortune des foires de Champagne, aux XIIe et XIIIe siècles. 
Dans ce schéma, Troyes (Augustobonum) reste pourtant relativement secondaire: la vallée de la Seine constitue un environnement marécageux peu propice au peuplement. Mais les grandes routes sont aussi les routes de la christianisation, et l’église de l’évêque, future cathédrale, s’élève au milieu du IVe siècle au sein de la ville fortifiée du Bas-Empire: pour reprendre la comparaison classique entre le plan de la ville actuelle et la silhouette d’un bouchon de Champagne, nous sommes ici dans la «tête» du bouchon dont la ville commerçante et bourgeoise occupera le corps. Après la chute de l'Empire, Augustobonum prend le nom de Tricassium, alias la cité des Tricasses, la peuplade gauloise de la région. Le principal pouvoir y est, à l’époque mérovingienne, celui de l’évêque.
Un pouvoir concurrent monte pourtant en puissance à l’époque carolingienne, celui de l’administrateur impérial, le comte (comes): selon le schéma général, la dévolution du pouvoir aux comtes débouchera sur l'affirmation des grandes dynasties féodales –dont celle des futurs comtes de Champagne. À la même époque, la vallée de la Meuse marque peu ou prou, la limite de la Francia occidentalis, et celle de la province de Champagne (partage de Verdun, 843). Alors que les invasions normandes ruinent le pays à la fin du IXe siècle, la personne du comte rteprésente le recours ultime permettant de se défendre.
Une ville en forme de bouchon de Champagne: Troyes au XIXe s.
La première dynastie comtale est liée à la puissante famille de Vermandois, dont certains membres sont, au Xe siècle, archevêque de Reims, comte de Meaux ou encore comte de Troyes. Le comte Hugues de Champagne (1093-1125) est le premier à faire de Troyes sa capitale permanente. Le palais comtal y est désormais le centre du pouvoir: il a été détruit sous la Révolution, mais il se dressait, avec l’ancienne collégiale Saint-Étienne, à l’emplacement de l’actuelle place du Préau.
Il est inutile d’entrer dans les détails de la généalogie comtale, des rapports entre les comtés de Blois et de Champagne, et de ceux entre les comtes et leurs voisins et concurrents de la dynastie capétienne. Les comtes Thibault II le Grand (1125-1152), Henri Ier le Libéral (1152-1181) et, plus tard, Thibault IV le Chansonnier (1222-1253), sont des personnalités particulièrement remarquables, souvent très pieuses, mais aussi tournées vers les curiosités intellectuelles et littéraires. Nous reviendrons dans notre prochain billet sur l'ancienne bibliothèque des comtes de Champagne autrefois conservée à la collégiale Saint-Étienne de Troyes, et aujourd'hui, en partie, à la Bibliothèque de cette ville (cliquer ici).

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