Les développements de la civilisation écrite au cours des âges se sont accompagnés de la mise en place progressive de toutes sortes de dispositifs permettant de repérer, de décrire, de manipuler et de communiquer les contenus textuels. L’historien du livre est familier d’un certain nombre d’entre eux, surtout s’ils concernent les livres en cahiers, alias les codex.
1- Les uns, que nous appellerons les dispositifs internes, se sont trouvés intégrés au document lui-même.
1.1 Voici, d'abord, le plus évident: les tables, sommaires et autres index, la désignation bibliographique sous la forme d’une page de titre normalisée, la foliotation ou la pagination (et leur utilisation...), les titres courants, etc. Leur premier objectif est de l’ordre de l’identification et du repérage: identifier le texte comme étant celui que l’on veut consulter, le cas échéant «se faire une idée» de sa structure et y repérer tel ou tel fragment, qu’il s’agisse de poursuivre sa lecture, ou au contraire de consulter un passage que l’on suppose pertinent.
1.2 Les choix de mise en page contribuent surtout à la «clarification» du texte, avec des éléments comme la mise en paragraphes, l’emploi des blancs, le saut de page, le chapitrage, etc. Nous laissons ici de côté tout ce qui relève de la typographie proprement dite, mais il est bien évident que l’utilisation d’une certaine fonte incorpore aussi des éléments d’information sur telle ou telle composante du texte: la hiérarchie des titres et des sous-titres (en capitales, petites capitales, etc.), la présence d’une citation (en plus petit corps), l’intégration de références bibliographiques (avec un titre qui sera cité en italiques), etc. (Cf cliché ci-contre: rubrication, lettre ornée manuscrite, et corps du texte imprimé).
1.3 Un dernier ensemble de dispositifs internes, moins généralisé, se rencontre aussi, qui vise à l’enrichissement du texte.
1.3.1 Ce sont d’abord les éléments proprement textuels du paratexte (en premier lieu les pièces liminaires, préface, etc.), les commentaires éventuels (dans la logique de la glose médiévale) et, surtout, les notes, elles-mêmes parfois structurées en différents niveaux (ce que montrerait de manière paradigmatique un ouvrage comme l’Histoire de l’imprimerie de Prosper Marchand, en 1740).
1.3.2 Les illustrations interviennent le cas échéant ici, et leur articulation avec le texte est particulièrement complexe: une illustration scientifique (comme celle de la Zoologie de Gesner) vise à reproduire ce qui se trouve décrit dans le texte, quand une illustration d’évocation entretient avec celui-ci des rapports d’une grande variété. Dürer fait ainsi de l’Apocalypse une lecture que l’on pourra dire littérale (1498), quand certaines planches du Voyage pittoresque de la Grèce, de Choiseul, visent plutôt à une forme d’enrichissement, en évoquant un paysage, ou l’ambiance quotidienne du voyage. Il convient aussi de prendre en considération les éléments textuels accompagnant éventuellement l’illustration, à commencer par son titre.
2- Venons en maintenant aux dispositifs externes, c’est-à-dire extérieurs à l’ouvrage proprement dit dont il s’agit. Nous retrouvons la même typologie que nous venons d’évoquer.
2.1 La fonction principale d’un premier ensemble d'éléments est en effet de l’ordre du repérage: ce sont les répertoires, bibliographies et autres catalogues, dont le contenu, la forme matérielle et la structure intellectuelle se déploient selon une typologie très variée –celle dont l’exposition De l’argile au nuage avait entrepris l’exploration, y compris s’agissant de la matérialité des supports (registres, fichiers, livres imprimés, etc., jusqu'aux catalogues informatisés).
À ce niveau, la question se pose toujours, de savoir à quoi il s’agit de renvoyer: soit les contenus en tant que contenus (comme pour une bibliographie: mais il se posera la question des recueils et des périodiques), soit les exemplaires donnant les contenus à lire, et supposant par suite des techniques spécifiques de repérage, qu’il s’agisse de la cote ou des indications portées sur l’exemplaire lui-même (auteur et titre, étiquettes éventuelles, etc.).
2.2 Nous ne mentionnerons que pour mémoire le second groupe d’éléments externes, dont l’analyse relève plus des problématique d’histoire (sociale) du livre ou d’histoire proprement littéraire: ce sont les comptes rendus et autres recensions, les commentaires, éventuellement la publicité, voire les éléments intertextuels, autrement dit relatifs au surgissement d’un certain texte dans un autre texte, que ce soit de manière explicite ou implicite.
Il est bien évident que nous ne traçons ici que les plus grandes lignes d’une typologie qui reste à étudier plus précisément. Il est bien évident aussi que la problématique des outils permettant de manipuler l’information est plus que jamais aujourd’hui d’actualité, à l’heure des nouveaux médias et de la virtualisation: les choix qui se font, et qui privilégient tel ou tel pratique ou dispositif par rapport à tel autre, engagent aussi les modes de penser, voire engagent la construction même et l'élaboration des connaissances.
Terminons en disant que, ici peut-être plus qu’ailleurs, se fait sentir le besoin d’une chronologie précise et relativement détaillée de l’apparition et de l’essor des différents éléments que nous avons évoqués. Ajoutons encore un mot, en clin d’œil: à titre de démonstration et de «travaux pratiques», nous avons donné au présent billet une forme que nous n’apprécions jamais dans un texte imprimé, mais qui a le mérite de mettre en évidence –un peu trop– la hiérarchisation du discours. On constate au passage comment le texte discursif, s'il suit un certain cadre matériel, pourrait directement refléter la construction d'un tableau.
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