Modernité urbaine autour de 1500: la gloire de Bâle
La géographie historique (et la cartographie!) est toujours très riche en enseignements pour l’historien. Ainsi, au XVe siècle, une ville moyenne occupe une position exceptionnelle dans l’histoire de l’Europe: Bâle, au coude du Rhin, compte peut-être quelque 10 000 habitants dans la première moitié du siècle, mais elle est une Ville d’Empire (depuis 1025), qui contrôle à la fois la vallée et le pont (depuis 1226) du grand fleuve, la route de Genève et de France (Lyon), et les débouchés d’Italie par le lac des Quatre Cantons et par le Saint-Gothard. Rappelons qu’une Ville d’Empire bénéficie du privilège de se donner le régime politique qu’elle souhaite, et de s’administrer de manière autonome.
À partir de 1431 et pendant près de deux décennies, la tenue du deuxième (après Constance) concile œcuménique fait de Bâle la capitale de la chrétienté occidentale –Æneas Sylvius Piccolomini, le futur pape Pie II, est le secrétaire du concile. Non seulement les prince de l’Église, mais leurs familiers, les savants et les clercs, les fournisseurs de matières premières (papetiers…) et de services (copistes…), se rassemblent à Bâle, où une quantité d’initiatives sont prises, qui vont dans le sens d’une modernité fondée sur la lecture et sur la méditation. En 1460, la ville devient siège d’université et, peut-être une dizaine d’années plus tard, elle accueille ses premières presses à imprimer, celles de Berthold Ruppel, un ancien ouvrier de Gutenberg: l’ISTC recense quelque 860 titres publiés à l’adresse de Bâle avant 1501, soit une production globale que l’on peut estimer à 4 à 500.000 exemplaires mis en circulation en moins de cinquante ans.
L’université, et la richesse de l’environnement intellectuel de Bâle, jouent, comme on le sait, un rôle décisif dans l’installation des premières presses parisiennes. Johann Heynlin (1430/1433-1496) vient de Stein (Königsbach-Stein), près de Pforzheim, d’où il tire son surnom usuel: Jean de la Pierre, alias Johannes de Lapide. Après ses études à Leipzig, il entre en 1453 au collège de Sorbonne –dont la bibliothèque est alors une des plus riche, sinon la plus riche d’Europe. Nous le retrouvons à Bâle en 1464-1466. Guillaume Fichet, recteur de la Sorbonne, revient d’une mission diplomatique à Milan (1469-1470) convaincu de l’importance du nouveau média de l’imprimé, et il se rapproche de Heynlin pour mettre à exécution son projet d’installer des presses à Paris. L’Atelier de la Sorbonne commence à travailler cette même année grâce aux ouvriers recrutés par Heynlin à Bâle et dans la région du Rhin supérieur (Constance, Colmar et Stein). On sait en outre que Heynlin, après son doctorat en théologie soutenu à Paris, sera un temps enseignant à Bâle: il se retirera en définitive à la Chartreuse de Bâle, à laquelle il léguera sa bibliothèque personnelle de 257 volumes (dont 204 incunables). Parmi ses familiers, nous rencontrons Sébastien Brant, lui-même docteur utriusque juris de Bâle et professeur à l’université de cette ville.
Bâle sera surtout connue pour posséder un certain nombre d’ateliers majeurs, au premier chef ceux d’Amerbach et de Froben, célèbre dans toute l’Europe humaniste comme l’ami d’Érasme, et l’éditeur de son Nouveau Testament. Dans l’intervalle, en 1501, la ville est entrée officiellement dans la nouvelle confédération des cantons suisses, et elle passe officiellement à la Réforme en 1528-1529. Nous reviendrons sur la cas exceptionnel de la bibliothèque des Chartreux de Bâle, mais concluons pour aujourd'hui: aux antipodes d’un modèle centralisé à la française, Bâle offre, jusqu’à aujourd’hui, un exemple idéaltypique de la modernité impulsée par une forme d’autonomie administrative, par la richesse capitaliste, et par le contrôle de réseaux multifonctionnels qui s’étendent à la plus grande partie de l’Europe occidentale.
Johann Helmrath, Das Basler Konzil, 1431-1449: Forschungsstand und Probleme, Köln, Wien, Böhlau Verlag, 1987 («Kölner historische Abhandlungen»).
Frédéric Barbier, «Émigration et transferts culturels : les typographes allemands et les débuts de l’imprimerie en France au XVe siècle», dans Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Comptes rendus, janv.-mars 2011, p. 651-679.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire