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jeudi 3 avril 2014

Le concile de Constance comme foire du livre (1414-1418)

Il est des anniversaires que l’on commémore (le début de la Première Guerre mondiale…) et d’autres qu’on néglige voire qu’on oublie, même si les événements dont il s'agit ont marqué leur époque. L’ouverture du concile de Constance, en 1414, prend certainement rang parmi ces derniers.
Le Konzilgebäude sur la rive du lac de Constance

Georges Bischoff a parfaitement raison de voir dans les grands conciles de la fin du Moyen Âge de véritables «foires du livre», à une époque où le commerce de librairie reste embryonnaire, où les communications sont difficiles et où les techniques de reproduction des textes n’existent pas: les deux conciles majeurs de Constance et de Bâle intéressent très puissamment, à ce titre, l’historien du livre.
Nous n’avons pas à aborder ici les objectifs du concile de Constance (1414-1418), avant tout mettre un terme au schisme de l’Église, et travailler à sa réforme. Ce qui nous intéresse, c’est le rôle du concile du point de vue de l’histoire des idées et de celle de l’écrit. Car ce sont non seulement des prélats qui se réunissent à Constance, mais aussi, derrière l’empereur, nombre de princes et de grands. Tous sont accompagnés d’une suite de proches, de fonctionnaires, de secrétaires et autres intellectuels et savants. D’autres personnalités se joignent à eux à titre privé, parce que le concile donne l’occasion d’approcher les grands, de travailler à faire avancer une certaine affaire, d’obtenir une certaine charge ou tout simplement de se faire connaître et de se «lancer». On y traite par exemple, entre autres, de l’arrestation de l’évêque de Strasbourg à la demande du chapitre cathédral et du Magistrat, et les différentes parties délèguent leurs avocats à Constance pour plaider leur cause.
Plusieurs années durant, la ville (qui compte alors quelque 8000 habitants) se peuple donc de clercs –entendons, de titulaires de tel ou tel grade universitaire, titulaires qui sont très généralement eux-mêmes des gens d’Église–, mais aussi de techniciens de l’écriture: il faut évidemment disposer des fournitures indispensables (parchemin, papier, matériel d’écriture), et il faut copier les correspondances, mémoires, décisions de toutes sortes que produit le travail du concile et de ceux qui y participent…
Certains des participants partent en outre à la recherche des manuscrits qui leur permettront d’étayer leur argumentation, ou d’enrichir leurs connaissances. Parmi ces derniers, les Italiens occupent tout naturellement la première place: on se rencontre, on discute, on travaille, on donne des cours publics, et on s'enquiert des manuscrits éventuellement inconnus. A Constance, devenue un temps une annexe de la Florence des humanistes, séjourneront entre autres Leonardo Bruni († 1444) et Poggio Braciolini († 1459), mais aussi un personnage comme le Grec Manuel Chrysoloras (décédé chez les Dominicains de Constance en 1415), ou encore les Français Pierre d’Ailly (1420), chancelier de l’Université de Paris et maître de Gerson, et Guillaume Fillastre († 1428), doyen du chapitre de Reims. Pratiquement, le concile constitue réellement une manière d’université.
Chronique de Richental: condamnation de Jean Huss
Une figure essentielle est celle de Poggio, qui profite de son séjour sur les rives du lac pour écumer les bibliothèques plus ou moins lointaines, et pour y redécouvrir les textes de l’Antiquité classique copiés à l’époque de la Renaissance carolingienne. Le voici successivement à Saint-Gall (à partir de 1416), puis à Einsiedeln, à Fulda et à Murbach, outre un certain nombre d’autres maisons non identifiées, et il aurait peut-être visité la bibliothèque de Cluny. Ses enquêtes les plus lointaines l’amèneront jusqu’à Langres et à Cologne.
Capitale de la chrétienté en même temps que, grâce au concile, capitale européenne du livre et de l’écrit, Constance se signale aussi par un texte exceptionnel: un bourgeois de la ville, Ulrich von Richental († 1437), rédige en effet à titre privé, vers 1420, une chronique du concile en vernaculaire. Le succès remarquable explique la diffusion déjà sous forme de manuscrits, mais aussi sous forme d’imprimés. Le texte de Richental donne la mesure de ce que l’événement a pu représenter aux différents niveaux, pour l’Europe et pour les principaux protagonistes, mais aussi pour la ville même de Constance.
L’année 2014 est ainsi l’occasion de revenir dans une perspective largement renouvelée sur l’histoire du concile, et de bientôt découvrir l’exposition qui lui est consacrée (du 27 avril au 21 septembre), dans l’ancien bâtiment même du concile (Konzilgebäude), directement sur le port. Ajoutons que le séjour à Constance, outre l’agrément d’un site exceptionnel et d'une ville très plaisante, permet d'explorer un paysage historique et culturel de premier intérêt, avec l’île de Reichenau et le souvenir du premier monastère bénédictin d'Allemagne, ou encore, à l'imitation de Poggio, Saint-Gall et sa célébrissime bibliothèque baroque

Das Konstanzer Konzil. Essays, éd. Karl Heinz Braun [et al.],
Darmstadt, Konrad Theiss, 2013,
247 p. ill.
ISBN 978 3 8062 2849 6.

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