Pages

vendredi 18 avril 2014

Dans un château de Bohême

Les bibliothèques de château constituent un département de la bibliothèque du Musée national de la République tchèque, mais un bon nombre de ces collections est resté en place, dans les châteaux des familles nobles disséminés à travers la Bohême et la Moravie. Parmi celles-ci, la bibliothèque des Fürstenberg est aujourd’hui conservée dans l’un des anciens châteaux de cette famille, à Krivoklát (alld Pürglitz).
En arrivant à Krivoklát
Les Fürstenberg sont originaire de la Souabe (Forêt Noire), et leur résidence principale est traditionnellement établie à Donaueschingen, cette petite ville célèbre pour sa position aux sources du Danube. La principauté immédiate d’Empire représentait, vers 1770, quelque 2000km2, et environ 80 000 habitants. Elle sera intégrée dans le grand-duché de Bade, donc médiatisée, en 1806. En règle générale, les Fürstenberg, catholiques, sont au service des Habsbourg, et leur intérêt pour leurs domaines familiaux reste relativement limité.
Le fondateur de la bibliothèque est Joseph Wilhelm Ernst (1699-1762), ancien élève des Jésuites à Pont-à-Mousson, puis étudiant à Strasbourg. On rappellera au passage que le premier évêque de Strasbourg après la réunion à la France et le rétablissement de la religion catholique par Louis XIV, est le prince Guillaume Egon de Fürstenberg (1629-1704), qui sera nommé cardinal, qui tentera un temps de s’imposer au siège de Cologne et qui mourra à Paris comme abbé de Saint-Germain-des-Prés
Joseph Wilhelm Ernst réside quant à lui à Vienne: il épouse Maria Anna de Waldstein (Wallenstein), et serait le premier à avoir réuni au Palais Fürstenberg de Prague une bibliothèque d’une certaine importance. Son second fils, le landgrave Karl Egon (1729-1787), est le fondateur de la lignée des Fürstenberg en Bohême: représentant idéaltypique de la noblesse des secondes Lumières, il préside la Société des sciences de Bohême (Böhmische Ges. der Wissenschaften), et il réunit à Prague la plus grande bibliothèque noble de la ville, soit environ 20 000 volumes. Son fils cadet, Philipp Nerius (1755-1790), poursuit son œuvre, et d’autres collections sont successivement ajoutées au fonds primitif de la bibliothèque familiale.
Ex libris des Fürstenberg
Pourtant, le XIXe siècle est globalement moins favorable, jusqu’à ce que la bibliothèque soit transportée, en 1881, du palais de Prague au château de Krivoklát, à quelque soixante-dix kilomètres à l’ouest de la capitale. Ancienne forteresse royale, Krivoklát a été ravagé à plusieurs reprises par des incendies, avant d'être acheté par les Waldstein en 1685, puis de passer aux Fürstenberg en 1733. Ceux-ci, pourtant, n’y habitèrent pratiquement jamais, et le château servit surtout de siège à une entreprise très profitable de brasserie. En 1929, les princes, possiblement bien informés, vendent leurs domaines à la République de Tchécoslovaquie, en pleine phase d'application de la réforme agraire.
Pour parvenir à Krivoklát, nous remontons d’abord la belle rivière de la Berounka, et pouvons découvrir un instant au passage l’impressionnante fortification élevée par Charles IV à Karlstein. Après avoir changé à Beroun pour un petit autorail très champêtre, nous nous engageons sur une ligne secondaire qui poursuit en se glissant le long des méandres de la rivière, de gare en gare, jusqu’à Krivoklát. En face, sur la rive gauche, le château domine les quelques maisons du tout petit village. Un chemin piétonnier, puis un pont et une petite rampe nous y conduisent, tandis que l’autorail reprend son trajet au fil de la vallée printanière.
La visite du château permet de se faire une idée de ce que pouvait le centre d’un grand domaine d'Europe centrale: le château certes, remontant au Moyen Âge, mais aussi de très vastes communs, d’où sont administrés les biens de la famille. La bibliothèque, qui compte toujours plus de 50 000 volumes (dont 189 incunables!), est installée dans l’ancienne salle des chevaliers (Rittersaal), et elle est tout particulièrement riche pour tout ce qui concerne l’histoire du livre, de la bibliographie et des catalogues de bibliothèque.
Dans la "Biblia pauperum", une scène de prêche comme l'artiste pouvait en observer à son époque à Strasbourg même
Parmi les volumes que nous avons la possibilité d’examiner, plusieurs éditions strasbourgeoises du XVIe siècle: un Quinte Curce édité par Érasme,avec une très belle mise en livre humaniste et dans un exemplaire  couvert de notes  soigneusement prises par quelque étudiant contemporain (Mathias Schurer, 1518); la Chronique de Spangenberg (héritiers de B. Jobin, 1599), introduite par une épître de Paulus Crusius (1588-1629), professeur au Gymnase, puis à l’Université, et couronné poète impérial; et, surtout, une très remarquable Biblia pauperum (Nouveau Testament allemand) imprimée certes à Spire par Anastasius Nolt en 1533, mais avec les superbes bois gravés utilisés pour l’édition du Nouveau testament de Luther donnée à Strasbourg six années auparavant. Cet exemplaire, étudié par P. Mašek, serait très probablement un unica, et il constitue un exemple extraordinaire de «Bible des pauvres» d’inspiration réformée.
Bornons-nous à ajouter que les Fürstenberg possédaient deux autres bibliothèques, la première à Donaueschingen, la deuxième à Weitra, en Autriche. Nous aurons l'occasion de revenir à cette famille, en préparant l'histoire des bibliothèques de Strasbourg.

P. Mašek, «Unikátní tisk špýrského tiskaře Anastasia Nolta v křivoklátské knihovně», dans Knihy a dějiny, 20 (2013), p. 73-81 (avec résumé en anglais, et ill.).
© des clichés 2 et 3: bibliothèque de Krivoklát.

Merci à Mme Claire Madl pour son aide sur ces bibliothèques de château dont elle est l'une des spécialistes! 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire