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jeudi 6 février 2014

Publication de la thèse de Claire Madl: histoire du livre et des Lumières en Bohème

Claire Madl,
«Tous les goûts à la fois». Les engagements d’un aristocrate éclairé de Bohême,
Genève, Droz, 2013,
X-467 p., ill., cartes, graph.
(«Histoire et civilisation du livre», 33)
ISBN 9 782600 013574


Nous tenons en main, avec quelques années de retard, le livre de Claire Madl, livre qui correspond à la publication d’une thèse de doctorat soutenue en 2007 à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. La thèse était consacrée à un noble éclairé de Bohème, le comte Franz Anton von Hartig (1758-1797), et à son rapport au livre et à l’écrit. Le titre a évolué pour devenir celui que nous découvrons aujourd’hui, l’information a été actualisée en fonction des recherches les plus récentes, mais la base de la recherche est bien la même.
Les historiens du livre et les spécialistes de l’Europe des Habsbourg connaissent de longue date le nom de Claire Madl (voir par ex. sur ce blog): Claire Madl s’est imposée à la fois comme une spécialiste de l’histoire socio-politique de l’Europe centrale, et comme une «intermédiaire culturelle» très efficace entre la République tchèque, l’Autriche, l’Allemagne et la France. Elle a organisé ou co-organisé un grand nombre de manifestations scientifiques tenues à Prague, ses compétences linguistiques lui ont permis de donner des travaux de traduction appréciés, tandis qu’elle a conduit parallèlement une activité discrète, mais d’autant plus utile, en tant qu’éditrice.
Parfaitement informée sur l’historiographie tchèque, allemande et française concernant les Lumières et l’histoire du livre des Lumières, Madame Madl est d’abord une historienne du livre, qui dispose de toutes les connaissances d’expertise de ce champ (bibliographie matérielle, étude des particularités d’exemplaires, construction de la documentation par la critique des sources –par exemple s’agissant des catalogues de bibliothèque, etc.). Elle conjugue ainsi un ensemble très rare de compétences précieuses, qui font qu'elle s’impose comme une figure aujourd'hui reconnue dans un domaine difficile de la recherche historique.
Le volume qui vient de sortir, et qui est destiné à  brève échéance à devenir un classique, donne une parfaite illustration de ce que devrait être la recherche fondamentale en histoire: un texte précis, détaillé, mais efficace et toujours élégant, par lequel l’auteur conduit le lecteur nécessairement moins informé tout au long de son raisonnement. Après une quinzaine de pages d’introduction, trois grandes parties, et neuf chapitres équilibrés, organisent l’ensemble, selon un plan chronologique qui se déroule au fil de la biographie du comte:
1) Dans Ouverture par les savoirs: le cosmopolitisme comme tradition familiale et principe d’éducation, l’auteur reprend l’itinéraire d’une famille qui s'engage dans la diplomatie et dans le service de l’Etat –à une époque et dans une géographie où le modèle politique de l’Empire se trouve de fait concurrencé par la montée en puissance de la logique de territorialisation (les Etats héréditaires de la Maison de Habsbourg). L’écrit et le livre sont constamment présents au fil des pages, mais le chapitre consacré à la bibliothèque familiale constitue réellement un modèle d’étude d’un type de sources trop souvent malmenées: Madame Madl y associe une approche statistique globale avec l’histoire de la collection, et avec l’étude fine des exemplaires eux-mêmes et des pratiques et représentations dont ils portent témoignage.
2) La deuxième partie, Un espace à sa mesure: l’Europe des lettrés, l’Europe des diplomates, constitue pour nous, à nouveau, un ensemble d’une qualité remarquable. Les grands thèmes et les pratiques de l’Europe éclairée y sont présentés en suivant le fil de la biographie du comte. L’auteur y traite d’abord de la problématique des réseaux lettrés, et de l’insertion de Hartig comme l’un de leurs acteurs, par le biais de l’écriture (avec une étude de l’intertextualité et des lectures préliminaires, p. 166-175). Puis c’est le temps des «affaires» et du «service», pour lesquels les compétences et l’efficacité s’appuient sur la qualité de la formation et de l’information, c’est-à-dire à nouveau sur l’écrit et sur l’imprimé.
3) La dernière partie (Terrains d’action restreints pour un accès à l’universel) nous dévoile une autre échelle de l’engagement social de Hartig: il s’agit non plus de l’Europe cosmopolite, mais de la Bohème, et des domaines et propriétés que la famille y possède. Le comte se lance dans l’agronomie et dans l’économie rurale, mais il s’intéresse aussi aux jardins, tandis que des perspectives nouvelles pénètrent ses préoccupations, avec les sciences et les techniques, mais aussi avec la question de l’identité tchèque. Hartig meurt alors qu’il n’a pas quarante ans: le neuvième et dernier chapitre que nous propose Madame Madl présente le temps de la maladie, les réflexions de Hartig sur sa propre expérience, et les voies qu’il s’ouvre pour se survivre à lui-même –notamment par le recueil des Moralische Gedichte qu’il s’emploie à constituer.
L’ouvrage est complété par un état des sources et de la bibliographie, qui prouve, s’il en était besoin, l’ampleur de l’information réunie pour l’enquête; par un jeu d’annexes (généalogie, bibliographie des publications et des écrits de Franz von Hartig); par un index nominum; enfin, par une trentaine d’illustrations signifiantes et tout particulièrement exploitées dans le texte.
Une grande thèse, qui prend la forme d’un livre exemplaire, parce que l’auteur y combine étude de cas et souci constant de la contextualisation; parce qu’il associe la précision du discours scientifique à des qualités constantes de finesse et de sensibilité (nous avons coutume de souligner le fait que l'empathie est aussi une modalité de la connaissance); et parce que l’écriture efficace rend partout et toujours aisément accessible les résultats d’une recherche fondamentale à tous égards exceptionnelle.

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