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samedi 2 novembre 2013

Un manuel sur Gutenberg

Nous parlions, il y a déjà quelque temps, de l’organisation des études d’histoire du livre en Allemagne, et de la fondation de chaires universitaires de «sciences du livre» –à Leipzig, Munich, Erlangen et Mayence. Le titulaire de la chaire Gutenberg à Mayence est depuis 1992 Stephan Füssel, en même temps rédacteur en chef de la revue de référence Gutenberg Jahrbuch. Stephan Füssel avait consacré sa thèse d’habilitation à Georg Joachim Göschen, l’un des principaux libraires éditeurs de la période charnière de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle.
Or, l’année 2013 voit la réédition du Johannes Gutenberg de Füssel, dans l’agréable collection de poche dite «Rororo». Un petit mot permettra d'expliciter ce titre d'apparence quelque peu surprenante. Après la Seconde Guerre mondiale en effet, les principaux éditeurs généralement installés à Leipzig se replient vers l’ouest. C’est le cas de Rowohlt, qui fonde à Hambourg le périodique Story, dans lequel il publie notamment des romans en feuilletons (1946). Quatre ans plus tard, c’est le lancement, sur le modèle américain, de la première collection de livres de poche en Allemagne, les Rohwolt Rotations Romane, alias Rororo. Le premier titre de la série est Kleiner Mann, was nun? de Hans Falada, un roman déjà donné par Rowohlt en 1932, publié en français dès l’année suivante (Et puis après?), et traitant de l’odyssée d’un jeune couple à l’ère de la crise économique dans la République de Weimar.
La collection Rororo est un succès immédiat, un million d’exemplaires des différents titres proposés sont écoulés dès la première année, et le catalogue s’élève aujourd’hui à 16000 titres, dans plusieurs séries romans, encyclopédies, monographies, etc. Le Johannes Gutenberg de Füssel prend rang dans cette dernière série.
La première caractéristique qui saute aux yeux avec ces petits volumes (le format est le même que celui de la collection «Que sais-je?») réside dans leur très belle présentation matérielle: couverture en couleurs, papier de qualité, bonne typographie, très nombreuses illustrations, souvent  en couleurs.
Mais le plus intéressant est évidemment dans le contenu, qui fait du Gutenberg de Füssel un véritable ouvrage de références. La présentation est chronologique, en deux grandes parties: d’abord, la vie de l’inventeur et sa production, en très courts chapitres qui peuvent constituer autant de notices (par ex., sur la «Bible de Burgos» ou encore sur le «Livre de modèles» (Musterbuch) de Göttingen. Les chapitres qui suivent cette manière de bio-bibliographie tracent un tableau suggestif des prolongements et des conséquences de l’invention de la typographie en caractères mobiles à court et à moyen terme: l’atelier de Fust et Schöffer, la diffusion de l’imprimerie, l’humanisme et l’imprimerie, l’imprimerie et la Réforme, etc. La conclusion, en quatre pages, offre un coup d’œil rétrospectif sur le «temps de Gutenberg», soit les années 1400-2000, cette dernière date se justifiant par la désignation de Gutenberg comme «l’homme du millénaire» en l’an 2000.
L’ouvrage se referme avec les notes (p. 136-138); les «témoignages» (Zeugnisse: il s’agit d’une série de précieux extraits, traduits en allemand, et relatifs à l’invention de l’imprimerie, depuis la célèbre lettre de Piccolomini en 1455); une liste des exemplaires conservés de la Bible à 42 lignes et des exemplaires numérisés disponibles en ligne; une liste des principaux imprimeurs ayant exercé jusqu’à aujourd’hui (avouons qu’étant donnée sa brièveté, nous n’en voyons pas l’absolue nécessité); une chronologie de l’établissement de l’imprimerie dans un certain nombre de villes et de pays jusqu’au XIXe siècle; la carte des grands centres d’imprimerie au XVe siècle (1); une chronologie des principales inventions dans la branche; enfin, une orientation bibliographique (pratiquement limitée aux titres en allemand).
On ne peut qu’être frappé par la qualité de l’ensemble: un texte qui correspond aux standards de la recherche universitaire tout en restant facile d’accès, et un choix judicieux d’illustrations elles-mêmes accompagnées de leurs références. En définitive, un petit volume très agréable, et qui montre que le choix du poche et d’une politique de bas prix (en l’occurrence, 8,99 euros) n'est pas antinomique avec la qualité au niveau tant du contenu que de la forme. Une démonstration comme quoi le poche et le grand tirage ne sont pas nécessairement synonymes de culture dite «populaire», voire de l'objectif de fournir un «livre pour tous». Et, même si le marché du livre germanophone n'est pas plus important que celui du livre francophone, nous ne connaissons pas d'expérience comparable de ce côté-ci du Rhin.

(1) La présentation cartographique la plus exhaustive reste celle donnée par Philippe Nieto, « Géographie des impressions européennes du XVe siècle », dans Le Berceau du livre: autour des incunables. Études et essais offerts au Professeur Pierre Aquilon par ses élèves, ses collègues et ses amis, dir. Frédéric Barbier, Genève, Librairie Droz, 2003, p. 125-174, cartes, ill. (Revue française d’histoire du livre, 118-121).
 
Stephan Füssel, Johannes Gutenberg, 5e éd. revue et augm., Reinbeck, Rohwolt Taschenbuch Verlag, 2013, 159 p., ill. (1ère éd., 1999).

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