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lundi 28 octobre 2013

Un colloque sur le décor des bibliothèques baroques

Le colloque organisé par Istvan Monok et Frédéric Barbier et qui vient de se tenir à Eger, dans la superbe salle historique de la bibliothèque du Lyzeum, a traité d'une problématique importante, celle du décor des bibliothèques, en l’occurrence du XVIIe au XIXe siècle.
Ce blog a abordé à plusieurs reprises la question du décor des bibliothèques, qui était restée relativement négligée, du moins en France, depuis les travaux fondateurs d’André Masson (on verra un certain nombre de ses articles, et surtout son livre Le Décor des bibliothèques, Genève, Droz, 1972). Une des difficultés majeures du sujet vient de ce qu’il met en jeu des domaines traditionnellement disjoints dans les structures de l’université et de la recherche: il faut faire se parler historiens du livre et des bibliothèques, certes, mais aussi historiens d’art, spécialistes de l’histoire des idées, de la littérature, etc. Le programme du colloque a permis, dans une certaine mesure, de confronter utilement des expériences venues de ces différents champs –pour ne rien dire de l’impératif que constitue pour nous la nécessité de conduire ces études dans une perspective transnationale.
Nous avons notamment pu reprendre à grands traits la chronologie, pour en souligner certaines spécificités. Le premier temps est celui de la tradition et des autorités: la pensée médiévale se réfère à un corpus nombre de figures fondatrices et d’auctoritates qui seules lui permettent de considérer un discours comme discours de vérité (Aristote, saint Augustin, etc.). Ce sont ces allégories et ces figures qui sont le cas échéant convoquées pour constituer le décor peint d’une bibliothèque comme celle du chapitre de la cathédrale du Puy.
À partir du XIVe siècle italien, le dispositif réintroduit les contemporains dans l’iconographie des bibliothèques de la Renaissance, en les assimilant ainsi aux figures de l’Antiquité classique: le meilleur exemple en est donné par la fresque célèbre de Melozzo da Forli mettant en scène la fondation de la nouvelle bibliothèque pontificale, et qui vient décorer celle-ci. Pourtant, le point de référence absolu reste toujours celui de l'Antiquité.
Avec l’irruption de la Réforme (début du XVIe siècle), la dislocation de la chrétienté romaine universelle fonde une tradition toute autre: les choix de Luther, s’agissant de livres, visent à l’efficacité, et la doxa protestante se révéle, logiquement, méfiante sinon hostile face aux images. L’objectif d'une bibliothèque est de permettre la formation morale et intellectuelle de chacun, sans qu’une réelle attention soit donnée au décor, sinon sous la forme de portraits des illustres, donateurs, savants et professeurs, sans oublier bien entendu les grandes figures de l’Église, à commencer par les fondateurs, Luther, Mélanchton, Calvin et un certain nombre d'autres (voir l'exemple de Leyde).
La mise en cause de l’Église de Rome et les progrès rapides de la philologie réformée impulsent le mouvement de réforme catholique, notamment par le travail du concile de Trente. Les nouvelles bibliothèques seront actualisées et réorganisées sur le plan matériel: l’Escorial innove de manière décisive pour avoir disposé les livres non plus sur des pupitres, mais en périphérie de la salle, sur les murs. Pour autant, le programme iconographique est traditionnel, avec la fresque des arts libéraux et le double motif articulant le savoir classique (l’École d’Athènes) et la Révélation chrétienne. L’innovation se prolonge en Italie, moins avec la bibliothèque de Sixte Quint qu’avec les autres bibliothèques de Rome et de Milan, dont un certain nombre sont l'œuvre de Borromini. Il s’agit en principe de bibliothèques ouvertes (les deux plus célèbres sont l'Ambrosiana et l'Angelica), dans lesquelles la décoration picturale prendra éventuellement la forme d’un décor de fresques.
On sait comment ce modèle italien sera celui transporté en France par Gabriel Naudé, pour la bibliothèque de Mazarin, mais selon des principes très différents de ceux des pays catholiques de l’espace germanophone et de l’Europe centrale: là où le baroque déploie une décoration spectaculaire et parfois somptueuse, Naudé impose l’idée selon lequel le décor de la salle est apporté par les seuls livres. L’absence de tout décor, soit peintures, soit statues, implique que la lecture ne soit pas orientée, mais qu’elle reste ouverte. D’une certaine manière, ces choix d’inspiration plus janséniste, se rapprochent de la tradition réformée. Ils seront repris par l’abbé Bignon, lorsque celui-ci les imposera, dans les années 1720, aux architectes de la nouvelle bibliothèque royale de Paris: «Un vaisseau tel que celuy que vous avez est au-dessus de toute décoration (…). Rien (…) ne peut plus en imposer aux étrangers et aux curieux que l’immense étendue de livres que l’on verra dans ce bâtiment…»
Le colloque a prolongé sa réflexion sur le XVIIIe et le début du XIXe siècle, en abordant en outre un grand nombre de questions, de l’architecture au programme iconographique, aux répertoires de motifs (les livres d’emblèmes…), à la localisation, à la lisibilité et aux fonctions du décor, etc. Nous nous efforcerons de publier les Actes le plus rapidement qu’il nous sera possible. Quant à la série de colloques d’histoire des bibliothèques que nous avons inaugurée à Parme en 2011, elle devrait se poursuivre au cours des prochaines années, avec notamment un projet concernant la Bibliothèque nationale de Turin.

Quelques participants du colloque. 1er rang: Pr. Dr. A. Serrai (Rome), Pr. Dr. J.-M. Leniaud (Paris), Dr. A. De Pasquale (Milan et Turin). 2e rang: Pr. Dr. F. Barbier (Paris), Pr. Dr. I. Monok (Budapest et Szeged), Dr. Y. Sordet (Paris).

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