mardi 29 novembre 2011

Soutenance de thèse en histoire du livre

Avis de soutenance de thèse

Madame Viera Rebolledo-Dhuin
soutiendra sa thèse de doctorat sur

« La librairie et le crédit:
réseaux et métiers du livre à Paris (1830-1870) »

le samedi 3 décembre 2011 à 9h30

aux Archives de Paris, Salle Paul Verlaine

Le jury sera composé de Mmes et de MM
Frédéric BARBIER, directeur d’études, à l’Ecole Pratique des Hautes Études, directeur de recherche au CNRS, pré-rapporteur
Christophe CHARLE, professeur à l’Université de Paris 1
Laurence FONTAINE, directrice de recherche au CNRS
Christine HAYNES, professeur associée à l’Université de Caroline du Nord
Charlotte Michel LESCURE, professeur à l’Université de Paris Ouest, pré-rapporteur
Jean-Yves MOLLIER, professeur à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, directeur de la thèse

Résumé de la thèse
L’étude des libraires parisiens, à partir des faillites, permet de mettre en évidence leurs réseaux de financement. En empruntant les méthodes caractéristiques de la démographie des entreprises, de la prosopographie ou encore de l’analyse de réseaux, nous montrons que les mutations de la production du livre s’accompagnent d’une diffusion des boutiques au sein de l’espace parisien et de l’ouverture de crédit auprès des banques. Si l’endogamie professionnelle diminue parallèlement au financement interne, l’escompte commercial entre professionnels qui domine jusqu’au milieu du XIXe siècle, tend, à partir de cette date, à être récupéré par les banques locales, dont l’activité reste néanmoins complémentaire de celle des institutions publiques, centralisées ou non. Le succès de ces banquiers repose sur le fait qu’eux-mêmes sont issus du secteur du livre, où ils ont acquis une position sociale certaine avant d’ambitionner intégrer, en se spécialisant dans la finance, les premiers rangs de la sphère politico-économique nationale.
L’analyse des faillites de libraires et de leurs réseaux de crédit souligne finalement l’évolution d’une économie relativement localisée, au sein de laquelle l’organisation productive pèse financièrement sur les fournisseurs, mais cette « chaîne du livre » n’est pas la seule en jeu dans la hiérarchie professionnelle. L’ampleur et la diversité de l’espace social des libraires paraissent essentielles dans la détermination de leur position relative au sein de la communauté de métier et de la société. Cette étude participe indirectement à l’histoire de la banque locale.

Adresse:
Archives de Paris, 18 boulevard Sérurier 75019 Paris
Métro : ligne 11, station Porte des Lilas

La soutenance est publique dans la limite des places disponibles.
(Cliché: «L'éditeur», dans Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle [suivi de: Le Prisme], Paris, Curmer, 1840-1842, 9 vol., 4°, ici t. IV, 1841, par Élias Regnault).

vendredi 25 novembre 2011

Conférences d'histoire du livre

École pratique des hautes études,
IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre

Lundi 28 novembre 2011

14h-16h 
par
Mme Emmanuelle Chapron,
 
maître de conférences à l’université d’Aix,
chargée de conférences à l’EPHE 

16h-18
Introduction à la recherche en histoire du livre (2)
par
M. Frédéric Barbier,
directeur d’études


Nota:
La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h.
Pendant la fermeture de la Sorbonne, la conférence a lieu au 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage, salle 115 à 14h et salle 123 à 16h).
Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2011-2012.

Transports en commun: Métro, ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare ((250 m. à pied). Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg).
Un petit peu plus éloignés: Métro, ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterand).

Calendrier complet des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

mardi 22 novembre 2011

Conférence sur l'histoire du livre scolaire

Lors de sa dernière conférence, le 21 novembre 2011, Madame Emmanuelle Chapron est revenue sur une problématique en vogue, celle de l’édition scolaire.
Ce secteur éditorial aujourd’hui reconnu comme l’un des principaux de la branche est souvent présenté comme trouvant son origine, en France, dans les premières décennies du XIXe siècle, notamment à l’occasion des «lois Guizot» sur l’organisation de l’enseignement élémentaire.
En réalité, comme le confirme Emmanuelle Chapron, ces origines sont bien antérieures: elles remontent à la fin du XVIIe siècle, même s’il reste difficile, sous l'Ancien Régime, de distinguer précisément les titres à vocation pédagogique de ceux à vocation récréative (le livre d'enfant en général). Les publications de Fénelon (1687) et de Locke (1693) marquent d'ailleurs, en Europe, un temps fort au cours duquel la compréhension du statut de l'enfant, et donc implicitement, pour ce qui nous concerne, du livre d’enfant a été profondément renouvelée.
De fait, l’idée est largement reçue au XVIIIe siècle, selon laquelle le domaine de l'école et de la pédagogie constitue une catégorie en soi au sein de la production imprimée: mais il s’agit d’une catégorie «éclatée» d’un centre de production ou d’un établissement d’enseignement (collège, etc.) à l’autre. La typologie des titres permet de distinguer grossièrement trois segments:
1) au niveau inférieur, les abécédaire, etc.;
2) au niveau médian, les «rudiments» et autres publications notamment destinées aux écoles et aux collèges;
3) au niveau supérieur enfin, les éditions ayant fait l’objet de privilèges en bonne et due forme, et dans lesquelles la «récréation» sera davantage présente.
Emmanuelle Chapron attire avec justesse l’attention sur le caractère très hétérogène du secteur, mais aussi sur le fait que l’édition scolaire joue souvent un rôle stratégique pour l’équilibre économique et financier de nombreuses maisons, notamment dans les villes de province. Elle étudie avec finesse les résultats de la célèbre enquête de 1701, pour mettre en évidence le fonctionnement d’une «culture graphique» du formulaire: d’une étape à l’autre (autrement dit, de la collecte initiale à la synthèse finale), l’information s’appauvrit, de sorte que beaucoup d’indications relatives à la librairie scolaire ont très probablement disparu. Ces publications relèvent souvent du genre des «bagatelles» (par ex. les «feuilles de classiques» pour les collèges), dont le signalement est, pour un atelier typographique, plus le signe d’une misère professionnelle avérée que d’autre chose.
Une caractéristique spécifique se rapporte d’autre part à ce qu’Emmanuelle Chapron appelle les «usages scolaires», alias les petites impressions relevant de la piété et destinées aux enfants. Elle rappelle à ce sujet que, depuis 1669, les écoles de chaque diocèse sont placées sous l’autorité et le contrôle de l’évêque (l'ordinaire) du lieu: par suite, le titre envié d’imprimeur de l’évêque apportera le cas échéant un ensemble important de commandes régulières relevant de ce secteur.
Emmanuelle Chapron s’est arrêtée sur la question de la distribution de ces petites publications, distribution qui, au niveau supérieur, mobilise des librairies de détail, mais qui fait aussi appel à des structures plus spécifiques. Il s’agit notamment de systèmes de revente: des imprimeurs-libraires ou de gros libraires contrôlent un réseau de revendeurs, lesquels vont des libraires établis aux colporteurs, étaleurs de foires et merciers (dans les villages, surtout peut-être dans le dernier tiers du XVIIIe siècle), voire à certaines personnes privées.
Un petit peuple resté en retrait, mais en fait bien présent, est constitué de tous ceux qui hantent les abords des écoles et des collèges, proposant friandises et sucreries, et rachetant aux enfants leurs manuels voire des vêtements (les « hardes ») pour les revendre ensuite. Les libraires en place se plaignent bien sûr de ce qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale, et, à Reims par exemple, les responsables de la police réussissent à saisir des classiques, mais aussi des titres de la Bibliothèque bleue, cédés par les élèves et proposés ensuite à la vente par les «étaleurs» en ville.
Enfin, Emmanuelle Chapron a conclu en revenant sur la problématique de la diffusion dans une géographie plus large, à travers l’exemple des accords existant entre des professionnels de Troyes et de Paris, au premier chef les Oudot. Toutes ces problématiques débouchent sur la question des «transactions sur l’espace» (nous nous permettons d’ajouter: et sur ses représentations) qui est certainement l’une des plus porteuses que l’on puisse envisager.
La seconde partie de cette conférence novatrice sera présentée à Paris (EPHE) le lundi 28 novembre de 14h à 16h.

vendredi 18 novembre 2011

Conférence d'histoire du livre


École pratique des hautes études,
IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre 

Lundi 21 novembre 2011
14h-16h
La librairie scolaire sous l'Ancien Régime (1),
par
Mme Emmanuelle Chapron,
maître de conférences à l’université d’Aix,
chargée de conférences à l’EPHE

16h-18h
Les bibliothèques en Bohême au siècle des Lumières.
Représentation aristocratique et ouverture au public,
par
Mme Claire Madl,
docteur de l’EPHE,
responsable de la bibliothèque du CEFRES (Prague)

Nota:
La conférence d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h.
Pendant la fermeture de la Sorbonne, la conférence a lieu au 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage, salle 123).
Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2011-2012.

Transports en commun: Métro, ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare ((250 m. à pied). Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg).
Un petit peu plus éloignés: Métro, ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterand).

Calendrier complet des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

(Cliché: la bibliothèque Nostitz à Prague).

mardi 15 novembre 2011

Histoire du livre: les origines de la seconde révolution du livre

Nous avons évoqué il y a peu le «tournant» des années 1760, et le processus général d'ouverture qui se manifeste dans la «librairie» des dernières décennies d’Ancien Régime. Même si le public reste nécessairement toujours minoritaire, les processus d'acculturation et d'appropriation font masse: l'équilibre atteint par une certain système (ici, celui des Lumières) contient en lui-même la logique de son propre dépassement et à terme de sa destruction, selon le schéma hégélien de l’Aufhebung. Le livre ne fait pas la Révolution, mais il la rend possible, surtout dans une structure aussi centralisée que celle de la France...
L’intellectuel grec Adamanthos Coraÿs vient de soutenir sa thèse de médecine à Montpellier et est invité par d’Ansse de Villoison à Paris. Il écrit, le 15 janvier 1788:
Paris est en réalité considéré aujourd’hui comme une nouvelle Athènes en Europe (…). Attendez-vous à de grands événements, à des événements extraordinaires. Quoi qu’il arrive, il paraît impossible à ma faible intelligence qu’il n’y ait pas bientôt quelque révolution comme on n’en a jamais vu…
Coraÿs est particulièrement frappé par le rôle de l’information:
Représentez-vous à l’esprit une ville plus grande que Constantinople, renfermant 800.000 habitants, une multitude d’académies diverses, une foule de bibliothèques publiques, toutes les sciences et tous les arts dans la perfection, une foule d’homme savants répandus par toute la ville, sur les places publiques, dans les marchés, dans les cafés où l’on trouve toutes les nouvelles politiques et littéraires, des journaux en allemand, en anglais, en français, en un mot, dans toutes les langues (…). Ajoutez à cela une foule de piétons, une autre foule portée dans des voitures et courant de tous côtés (…), telle est la ville de Paris!… (15 septembre 1788).
Or, les principes révolutionnaires ont un rôle essentiel sur le plan économique, en ce qu'ils constituent a priori un public de masse pour l'imprimé. Dès lors que tout un chacun est citoyen et qu’il peut voter, il doit pouvoir s'informer librement: il faut que l'alphabétisation soit générale et la librairie libérée, comme l’établit la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le marché de masse de l'information existe ainsi dans la théorie politique avant que d'exister dans les faits –il ne s'imposera pour ainsi dire définitivement qu'avec la loi de 1881.
Mais si, en France c'est la Révolution politique qui constitue le facteur décisif, ce rôle est, dans nombre d'autres pays, tenu par le processus de construction nationale. L’Allemagne illustre cette problématique.
Dans un système où les solidarités culturelles sont largement antérieures aux solidarités politiques, la place centrale est prise, face à un émiettement politique largement rétabli par les traités de 1815, par une «librairie allemande» (der deutsche Buchhandel) que le libraire hambourgeois Friedrich Christoph Perthes (lui-même de tendances libérales) pose, sur un plan presque philosophique, comme la « condition d'existence» (Bedingung des Daseins) d'une «littérature allemande», donc pratiquement d'une culture nationale (1816: cf. cliché supra). Les choix conservateurs de la plupart des princes et la vacuité des structures fédérales mises en place font rapidement revenir sur les possibilités d'ouverture politique et de libéralisation: les universités sont sous surveillance, et la censure préventive de la presse rétablie, ainsi que le principe absolutiste en général. Désormais, c'est la construction nationale comme principe de solidarité qui passe au premier plan.
L'analyse de la révolution politique «occidentale» permet ainsi de distinguer différents modèles interférant les uns avec les autres, mais l’opposition majeure apparaît selon que l'on privilégie la dimension politique universelle (l'idée de participation politique, et le modèle français), ou l'idée de la collectivité nationale, sa logique «naturelle» (la nation est donnée a priori) et sa grande puissance d'intégration. Mais, dans les deux cas, l'imprimé et les médias sont au centre du dispositif. Dans un second temps seulement, l'intégration de marchés plus vastes rend possible (ne serait-ce que financièrement) la révolution industrielle proprement dite dans le domaine de ce que l’on désignera bientôt comme celui des «industries polygraphiques».

dimanche 13 novembre 2011

Conférence d'histoire du livre

École pratique des hautes études,
IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre 

Lundi 14 novembre 2011
16h-18h
Ouverture de la conférence
Introduction à la recherche en histoire du livre
par Monsieur Frédéric Barbier,
directeur d'études

Nota:
La conférence d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h.
Pendant la fermeture de la Sorbonne, la conférence a lieu au 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage, salle 123).
Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2011-2012.

Transports en commun: Métro, ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare ((250 m. à pied). Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg).
Un petit peu plus éloignés: Métro, ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterand).

Calendrier complet des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

(Cliché: une presse métallique à balancier, Musée del'imprimerie, Lyon).

vendredi 11 novembre 2011

Histoire du livre: Strasbourg, 1840

La question de l'invention de l'imprimerie en caractères mobiles avait depuis le XVIIIe siècle été agitée en Alsace, où l'on insistait sur les titres de Strasbourg à prétendre au premier rang face à ses concurrentes, notamment Mayence. Le jubilé est traditionnellement fêté à la quarantième année de chaque siècle, mais, en France, à l'approche de 1840, les autorités s'inquiètent de voir la commémoration donner une tribune à l'opposition libérale.
Mayence avait inauguré dès 1836 son propre monument à Gutenberg —manière habile de prétendre à l'antériorité de l'invention mayençaise (dès lors située en 1436) sur ses concurrentes, tandis que le Comité créé à cet effet dans la capitale de l'Alsace ne parvient pas à réunir des fonds suffisants pour passer commande de la statue prévue à David d'Angers. Sa réorganisation, en 1839, en fait un organe dominé par les libéraux, parmi lesquels on remarque particulièrement l’imprimeur Gustave Silbermann. Un comité parisien se forme aussi, avec Jacques Laffite et sous la présidence de Lamartine. Enfin, l'aide du National est acquise. Dès lors, l'entreprise rencontre un indiscutable succès. Les dons s'accumulent, plus de cinquante villes françaises tiendront à participer financièrement aux «Fêtes de Gutenberg», outre des associations privées —dont, à Paris, la toute nouvelle Société des gens de lettres.
Dans la première quinzaine de juin 1840, les délégations étrangères commencent à arriver à Strasbourg, ainsi que celles de Paris et de Lyon, parmi lesquelles les éditeurs Alcan aîné, Baillière, Crapelet, Lenormand, et d’autres. Le 24, le coup d'envoi des fêtes est donné par l'inauguration de la statue de Gutenberg, place du Marché-aux-herbes (aujourd'hui place... Gutenberg), et par la frappe d’une médaille commémorative. Le cortège est conduit par les imprimeurs et libraires strasbourgeois, suivis des députations des autres villes de France et de l'étranger —on remarque spécialement les délégués de Rio-de-Janeiro.
Au pied du monument, des ouvriers impriment un hymne composé pour la circonstance par Louis Levrault, tandis que les discours se succèdent, pour la plupart émaillés de références aux «ténèbres» que l'invention de Gutenberg a permis de faire reculer, et à la Révolution démocratique de 1789:
«Arrière les ténèbres, arrière, la superstition et le despotisme! Voici venir l'ère des lumières et de la liberté (…). Strasbourg (…) devait offrir cette image révérée au respect, à l'admiration publique, comme le type de l'affranchissement humain, comme le symbole éternel du grand triomphe qui a été si longtemps, si obstinément, disputé, mais qu'a rendu définitif notre immortelle Révolution de 1789…» 
De toutes parts, mais surtout du côté des libéraux, les Fêtes de Gutenberg seront regardées comme une réussite accomplie. Blanqui les salue, dans le Courrier français, par un article insistant à la fois sur le grand succès populaire qu'elles ont constitué («il y avait cent mille personnes»), sur le fait que, du coup, les Fêtes «n'ont pas coûté un centime à la ville», et sur l'ordre parfait qui a régné au cours de ces trois jours: l'argumentation implicite insiste sur la maturité politique du «peuple», entendons du plus grand nombre, et donc sur l'inadaptation d'un système politique fondée sur la richesse, voire sur les dangers qu'il fait paradoxalement courir à l’ordre public.
Mais, dans Le Siècle, Auguste Luchet donne aussi aux Fêtes une dimension nationaliste, à travers la concurrence entre Strasbourg et Mayence (jusqu'à David d'Angers, présenté comme meilleur artiste que le danois Thorwaldsen, auquel Mayence avait fait appel), tout en insistant sur l'ancienneté des rapports entre l'Alsace et la civilisation de l'écrit et du livre:
«Il était peut–être donné à la seule ville de Strasbourg de fêter dignement la mémoire de l'inventeur de l'imprimerie, elle, cette belle tête de l'Alsace, province où il est plus rare de rencontrer quelqu'un qui ne sache pas lire qu'il est commun dans les autres de s'affliger de l'ignorance du plus grand nombre». On reconnaît dans ces derniers mots un thème qui sera particulièrement mis à contribution après la défaite de 1870.

(Clichés: 1- La statue de David d'Angers, place Gutenberg; 2- Détail du socle: l'imprimerie émancipatrice de l'humanité; 3- Difficile de venir à Strasbourg sans admirer la cathédrale, ici le soir, dans l'axe de la rue Mercière). 

mardi 8 novembre 2011

Histoire du livre, 1760-1789

Les indicateurs concordent, qui, en France comme dans nombre de pays étrangers, témoignent de l'entrée de la «librairie» dans une conjoncture progressivement nouvelle, surtout à partir des années 1760. Nous nous bornons-nous ici à trois points particulièrement importants, qui touchent le petit monde du livre, et d’abord en France:
1) La production imprimée s’accroît, tandis que les libraires provinciaux se lancent dans l'édition d'ouvrages plus ambitieux (histoire régionale, manuels scolaires…), ou de titres de récréation (romans). Face à la poussée du marché, les Parisiens perdent de fait leur traditionnelle exclusivité, avant que les arrêts de 1777 n’entérinent le nouveau rapport de forces. Dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, la «librairie» fait figure de secteur en développement, et attire nombre de nouveaux venus à la recherche d’un établissement.
2) L'extension des circuits de diffusion, par le biais notamment des colporteurs et revendeurs de toutes sortes, témoigne d'un autre lien entre le plus grand nombre et la chose imprimée. L'auteur de la Bastille dévoilée souligne, en 1789:
Je ne sais pas si tout le monde sent comme moi la reconnaissance que nous devons à cette espèce de gens [les colporteurs]: ce sont eux qui, au péril de leur fortune, de leur liberté et quelquefois de leur vie, ont beaucoup contribué à nous faire arriver au point où nous nous trouvons. Il ne suffisait pas que des écrivains composassent des livres, il fallait encore les faire imprimer, les faire colporter, les faire arriver jusqu'à nous à travers une infinité d'espace, à travers une armée d'espions et délateurs…

D'autres indicateurs décrivent les nouvelles pratiques de lecture et d'appropriation qui sont le moteur et le résultat du changement: ainsi des formats et de «mise en livre», ainsi que des contenus. Le rapport du plus grand nombre à la chose imprimée change en profondeur, comme l’explique Sébastien Mercier:
On lit certainement dix fois plus à Paris qu'on ne lisait il y a cent ans, si l'on considère cette multitude de petits libraires semés dans tous les lieux qui, retranchés dans des échoppes au coin des rues et quelquefois en plein vent, revendent des livres vieux ou des brochures nouvelles qui se succèdent sans interruption. [Les clients] restent comme aimantés autour du comptoir ; ils incommodent le marchand qui, pour les faire tenir debout, a ôté tous ses sièges; mais ils n'en restent pas moins des heures entières appuyés sur des livres, occupés à parcourir des brochures et à prononcer d'avance sur leur mérite et leur destinée…
3) Car il ne faut pas s’en tenir au discours des professionnels, qui tend au misérabilisme. En 1763, l’inspecteur Bourgelat explique que l’imprimerie à Lyon est tombée «dans une espèce de léthargie» et la librairie dans «une sorte d’avilissement». Bien au contraire: la réorientation de la production imprimée dans le dernier tiers du XVIIIe siècle est concomitante d'un changement de statut de l'objet, en même temps que d'une réorganisation de sa géographie et de son administration.
La convergence des indicateurs met en évidence l’importance de la rupture des années 1760-1789, rupture qui touche des espaces parfois très éloignés (et encore, nous ne parlons pas des Treize colonies américaines).
Ainsi des Lumières polonaises, qui fleurissent alors même que la Pologne va cesser d'exister en tant qu'État; de même, ce sont les progrès de la librairie autrichienne à l'époque de Marie-Thérèse et de Joseph II; de même encore, les efforts russes pour s'intégrer au modèle occidental par l'intermédiaire de libraires d'abord hollandais, puis français et allemands.
La conjoncture anglaise suit une courbe analogue, tandis que la librairie scandinave connaît une croissance rapide et que le livre pénètre progressivement plus les principautés danubiennes (Valachie et Moldavie), voire, par le biais de la diaspora négociante, la Grèce ottomane. En Allemagne, le décollage de la production et la montée de l'édition en langue vulgaire culminent avec les réformes de Philipp Erasmus Reich, et avec l'organisation de la diffusion à l'entour de Leipzig et de ses foires: c’est l’émergence d’un marché moderne de l’imprimé.
Il y a bien en définitive, au tournant des années 1760, ouverture vers un autre système, engageant un processus qui se prolongera pratiquement jusqu'au début du XXe siècle, sinon jusqu'à nos jours. Il paraît logique que cette époque, qui ouvre la deuxième révolution du livre, soit aussi celle des premières recherches techniques importantes apportées à l’invention de Gutenberg, et qui concerneront d’abord le papier. Mais bientôt, la révolution politique imposera un tout autre tempo et de tout autres modèles...

Bibliographie: à propos des mentalités à la fin de l'Ancien Régime. Daniel Mornet, Les Origines intellectuelles de la Révolution française, 1715-1787, nelle. éd., Lyon, 1989. Michel Vovelle, «Le tournant des mentalités en France, 1750-1789», dans Social history, 5, 1977, p. 605-630.

(Cliché: publiée à Pest chez Trattner, en français, La Bergère des Alpes, d'après Marmontel. Nous sommes alors en 1811, et l'ouvrage vient de la bibliothèque du collège des Piaristes).

samedi 5 novembre 2011

Bourse de recherche en histoire du livre

Bourses 2012
Bibliothèque patrimoniale et Archives Historiques
du Centre Culturel Irlandais (CCI)

Le Centre Culturel Irlandais (www.centreculturelirlandais.com) poursuit le programme scientifique d'étude de ses fonds patrimoniaux, en offrant, pour l'année 2012, deux bourses d’étude.
Ces bourses s’adressent à des étudiants, doctorants, chercheurs, professeurs, restaurateurs…, susceptibles d'être intéressés par l’étude des collections du CCI.
Parmi ces collections figurent une bibliothèque patrimoniale regroupant près de 8 000 ouvrages (imprimés et manuscrits, du XVème au XIXème siècle), ainsi qu’un fonds d’archives de 19000 pièces.
Les principales thématiques de la Bibliothèque ne sont pas en lien avec l'Irlande mais portent sur la théologie, l'histoire, la philosophie, etc. Les Archives historiques, quant à elles, retracent la vie du Collège des Irlandais et de ses pensionnaires, du XIVème au XXème siècle.
Pour consulter les catalogues : www.centreculturelirlandais.com/presentation.

L’objectif des bourses est d’améliorer la connaissance des fonds. Les sujets d’étude sont libres et très ouverts: il peut s'agir de l'étude d'une période, d’un auteur, de recherches sur un sujet historique, sur l'aspect physique des volumes (reliures, décors, marques de possession), sur la valeur intellectuelle de certains ensembles thématiques, voire de l’étude descriptive d'un corpus cohérent (les ouvrages en langue anglaise imprimés en France, les manuscrits, les ouvrages imprimés en Angleterre, les impressions écossaises ou irlandaises...).

La priorité sera donnée aux sujets prévoyant l'étude d'un ensemble de documents, plutôt que d'un ouvrage en particulier. À titre d'information, les boursiers 2010 et 2011 ont travaillé sur les sujets suivants :
- Frédéric Manzini: Robert Boyle chez les philosophes en France et en Europe au XVIIème siècle : diffusion et influence
- Cormac Begadon: Belief and Devotion in a 19th century Irish Seminary: the evidence from the Irish College Paris Collections
- Justin Dolan Stover: Student life, curriculum, and college administration: the Irish College, Paris, under le bureau gratuit, 1870-1918
- Nienke Tjoelker: Irish Neo-Latin style and identity
- Linda Kiernan: Gentlemen Scholars: Minding manners and polite society at the Irish College, Paris
- Brid McGrath: Representative assemblies in Ireland and France in the early modern period
- Rebecca Schwarz: John Toland’s Irish Philo-Semitism: A New Window on Christian-Jewish Relations
- Emmanuelle Chapron: Bibliothèques décomposées : les livres des collèges d’Ancien Régime dans le fonds ancien du Centre Culturel Irlandais

Conditions: Les recherches devront aboutir à la rédaction d’un mémoire (40 pages environ, hors annexes et bibliographie).
Durée: 1 mois, entre avril et novembre 2012
Montant: 1000€ par mois; hébergement et voyage pris en charge, sous certaines conditions.
Date limite de candidature: 20 janvier 2012
Les candidatures et travaux peuvent être en français ou en anglais.

Merci de faire parvenir:
- un CV
- une présentation du projet d'étude (environ deux pages, précisant vos périodes de disponibilité)
- la bibliographie des documents qui seront étudiés
- tout autre élément que vous jugerez utile de nous communiquer
à: Carole Jacquet, Responsable des ressources documentaire (cjacquet@centreculturelirlandais.com)

ou: Centre Culturel Irlandais, 5 rue des Irlandais, 75005 Paris
Pour toute question: 01 58 52 10 33 ou cjacquet@centreculturelirlandais.com
(Communiqué par Madame Carole Jacquet)

vendredi 4 novembre 2011

Histoire du livre en Roumanie

Nous avons souvent regretté le fait que, en France, le petit monde des bibliothèques soit longtemps resté négligé par la recherche, tout particulièrement pour ce qui regarde le fonctionnement interne de la bibliothèque, l’organisation de son espace, son mobilier, la gestion de ses collections, les pratiques d’utilisation, etc., sans oublier ceux que l’on... oublie le plus fréquemment, à savoir le personnel et au premier chef les bibliothécaires. Nous avons déjà rencontré le personnage de Gilles Malet, nous avons évoqué le rôle de Pierre Claude François Daunou, des travaux existent, par exemple sur Léopold Delisle, des ressources sont disponibles sur Internet (par exemple le colloque de l’Enssib «Histoire des bibliothécaires»), et le détail des monographies publiées sur tel ou tel personnage serait sans fin. Mais, jusqu’à présent, pas d’étude systématique, contrairement à ce que l’on observe dans certains pays.
C’est ainsi que vient tout récemment de paraître un dictionnaire biographique des scientifiques du livre (les «bibliologues»), dont les bibliothécaires, ayant travaillé en Roumanie au XXe siècle :
Gheorghe Buluțǎ, Victor Petrescu, Emil Vasilescu,
Bibliologi Români. Dicționar,
Târgovişte, Editura Bibliotheca, 2011, 322 p., ill.
(«Informare comunicare»).
ISBN 978-973-712-591-0.
Le volume propose une introduction («Argument», p. 7-16) présentant le concept de bibliologie et son histoire dans la langue et dans la pensée de Roumanie. Il s’agit d’un concept lié d’abord aux travaux de bibliographie rétrospective, et à l’enseignement professionnel. Après la liste des abréviations s’ouvre la partie des notices biographiques elles-mêmes, données par ordre alphabétique (p. 19-257). Plusieurs compléments viennent en fin de volume: une présentation des périodiques spécialisés publiés en Roumanie (p. 258-274), une liste des associations professionnelles (p. 275-279), la bibliographie scientifique (livres, puis articles et contributions, p. 280-290). La fin du volume (p. 291 et suiv.) propose une présentation en anglais et en français, un index nominum, un index des titres de périodiques et des noms des associations (ces index ne s’imposaient pas, puisqu’ils suivent précisément l’ordre alphabétique des trois listes), enfin, une galerie de portraits et de photos.