mercredi 27 octobre 2010

Histoire du livre et théorie de l’innovation (2)

La profusion de recherches techniques visant à reproduire les textes témoigne de la conjoncture favorable de la branche autour de 1450: de tous côtés en Europe, on veut se procurer des livres, et l’invention de Gutenberg, dans les années 1452-1455, est le signal d’une multiplication rapide des ateliers d’imprimerie. Trois régions accueillent bientôt un semis de presses particulièrement dense : l’Allemagne méridionale, l’Italie du Nord et les anciens Pays-Bas. Dans le même temps, l’imprimerie atteint les franges de la chrétienté occidentale : des presses «gémissent» à Grenade à peine reconquise sur les Musulmans, mais aussi en Sicile, en Pologne (Cracovie) et dans la capitale hongroise de Buda.
La Scandinavie aussi est touchée : Johann Snell, peut-être né à Einbeck (au Sud de Hanovre) et étudiant à Rostock, aurait appris l’art typographique dans cette ville. Nous le retrouvons comme imprimeur à Lübeck (1480), à Odense (1482) et à Stockholm (1483-1484), avant qu’il ne revienne à Lübeck. On imprime aussi, même si de manière très épisodique, sur la côte de Dalmatie. L’essor se poursuit au début du XVIe siècle : le moine orthodoxe Makarios vient de Dalmatie à Venise pour y apprendre l’art typographique, et on commence à imprimer à Cetinje en 1493-1495, avant que la progression des Ottomans ne pousse Makarios à se replier en Valachie (Roumanie actuelle), où une presse semble bien exister à compter de 1508.
Mais la fin du XVe siècle est marquée par un processus de rationalisation et de concentration : les villes les moins actives tendent à s’effacer de la carte au profit des centres les plus importants. Cette concentration répond à une logique économique très prégnante : de 1495 à 1500, les vingt premières villes d’imprimerie en Europe assurent plus des trois-quarts de la production imprimée mesurée en nombre de titres –et près du tiers de la production sort des ateliers de Paris (18%) et de Venise (13%).
Parallèlement, la branche de la «librairie» –entendons, les activités du livre en général– tend à être de plus en plus dominée par ce que l’on appellera la librairie de fonds –autrement dit, l’édition– plus que par l’imprimerie. Ce sont les grands «libraires» et ceux qui disposent des capitaux suffisants qui prennent le contrôle –ils font d’ailleurs le cas échéant tourner une imprimerie, sans qu’il s’agisse en rien d’un impératif. Inversement, les imprimeurs indépendants tombent parfois au rang d’entrepreneurs à façon, qui exécutent les travaux à eux commandés par les donneurs d’ordre, libraires, mais aussi grands personnages (notamment prélats commandant des livres d’Église) et capitalistes investisseurs.
Un mot, enfin, du niveau global de production, qui donne la mesure du changement: la statistique des incunables recense environ 30000 titres publiés dans la seconde moitié du XVe siècle et aujourd’hui conservés. Sans tenir compte des pertes, si l’on évalue par hypothèse le tirage moyen à 500 exemplaires, ce ne sont pas moins de quinze millions de volumes (fourchette basse) qui sont mis en circulation en Europe en demi-siècle à peine, soit une masse hors de proportion avec ce que l’on pouvait rencontrer à l’époque du manuscrit.
Certains ouvrages sont des succès extraordinaires si l’on considère la succession de leurs éditions: le Manipulus curatorum (Manuel des curés) de Guy de Montrocher est un petit guide pratique pour les ecclésiastiques, publié pour la première vers 1473. Nous en connaissons cent vingt-deux éditions –encore ne s’agit-il à nouveau que d’une fourchette basse, qui ne peut prendre en compte les éditions disparues– soit, toujours au tirage moyen de 500, plus de 60000 exemplaires diffusés à travers l’Europe en un quart de siècle à peine… Dans un tout autre genre, le Narrenschiff (la Nef des fous) du strasbourgeois Sébastien Brant, est publié pour la première fois en 1494. Vingt-six éditions successives en sortent dès avant 1501 –soit quelque 13 000 exemplaire en six ans à peine. Quel que soit l’essor connu par la production des manuscrits durant le bas Moyen Âge, nous sommes avec l’imprimerie devant une rupture absolument radicale, et dont les contemporains ont eux-mêmes très tôt été conscients.

Parmi les conséquences de ces phénomènes, nous reviendrons pour finir sur l’importance de la crise de surproduction sensible dans les années 1470-1480, et sur le rôle de l’innovation de produit: l’invention du livre imprimé. Car si l’imprimerie est inventée au début de la décennie 1450, le livre imprimé en tant qu’objet innovant ne le sera en fait qu’une génération plus tard. Comme on disait dans les romans feuilletons… après un certain temps. Et... la suite au prochain (et dernier!) billet.

Clichés: 1) Vue de Buda, dans le Liber Chronicarum (Bibl. de Valenciennes); 2) Missel de Senj (Bibliothèque nationale de Hongrie); 3) Le quartier parisien des imprimeurs et des libraires, sur le plan de Truchet et Hoyau, au début du XVIe siècle (Bibl. cantonale et universitaire de Bâle): «l’imprimerie conquiert le monde» (Henri-Jean Martin).

samedi 23 octobre 2010

Histoire du livre et théorie de l'innovation (1)

Gutenberg, inventeur de l'imprimerie... n'est pas nécessairement l'inventeur de l'imprimé. Son objectif est en effet celui de mettre au point un procédé qui permette de reproduire en nombre ce qui existe déjà –autrement dit, des manuscrits. C'est pour reproduire ce qui est connu et  à quoi la clientèle est habituée que Gutenberg et ses premiers successeurs ne tirent nullement toutes les conséquences de leur invention au niveau de la fabrication. Quatre séries d'observations démontrent le fait.

1) L’intérêt de la technique typographique est de permettre, avec un très petit nombre de signes, de reproduire en principe tous les discours imaginables. Or, pour sa Bible à 42 lignes, Gutenberg fabrique non pas un alphabet simple, mais un alphabet intégrant un grand nombre de lettres liées ou d’abréviations. Au total, quelque 240 poinçons différents seront gravés, et on fondra un ensemble de caractères particulièrement lourd et onéreux : c'est que le modèle réside toujours dans les pratiques des copistes, modèle qui, plus ou moins allégé, perdurera jusqu’au XVIIIe siècle, voire parfois jusqu’à aujourd’hui.
2) Même logique, toujours dans la Bible à 42 lignes, avec la question de la rubrication. Dans un manuscrit spectaculaire, comme celui d’une Bible monumentale, l’habitude du scribe est de copier en rouge les lignes de tête (l’incipit). Gutenberg s’emploie donc, pour un certain nombre d’exemplaires, à imprimer l’incipit en rouge, ce qui complique et renchérit évidemment le travail en posant des problèmes de repérage (il faut passer deux fois sous la presse). De même encore, pour en terminer avec la Bible, Gutenberg imprimera-t-il plusieurs dizaines d’exemplaires sur un parchemin d’excellente qualité –alors que celui-ci est plus cher et qu’il se prête moins bien que le papier au travail de la presse. Malgré le coût, l’objectif est toujours d’obtenir un produit qui soit pratiquement identique au manuscrit: après le tirage, certains exemplaires passent à l’atelier de la rubrication, voire de peinture, où ils reçoivent des enluminures parfois somptueuses.
Un atelier comme celui du Parisien Antoine Vérard se fera, surtout à partir de 1491, une spécialité de produire de somptueux imprimés, aussi proche que possible des manuscrits de luxe.
3) La forme des premiers caractères typographiques suit  le modèle des écritures manuscrites, mais nous retrouvons la problématique de la reproduction avec l’exemple du Psautier de Mayence, le premier livre imprimé portant une date (1457). Certaines lettres de ce magnifique Psautier s’inspirent en effet de la calligraphie de Peter Schöffer et, de plus, Gutenberg (sans doute s’agit-il de lui) a mis au point une technique très délicate pour imprimer en une seule fois les lettres filigranée en deux couleurs (rouge et bleu). Celles-ci sont en métal et comportent deux parties démontables: on encre séparément la lettre elle-même et le fonds filigrané. Le procédé est spectaculaire, mais trop onéreux, et il sera rapidement abandonné.
4) Enfin, on sait que la forme même des imprimés incunables suit longtemps le modèle du livre manuscrit : la Bible à 42 lignes n’a pas de page de titre, ni d’éléments comme la foliotation, etc., et, d’une manière générale, lorsque les indications relatives à l’œuvre (titre) et à l’impression (ville, atelier, date) figurent dans les premiers imprimés, elles sont généralement données à la fin, au colophon. L’examen des  gravures insérées dans ces mêmes imprimés mettra aussi en évidence la filiation stylistique par rapport aux illustrations figurant dans les manuscrits de ces mêmes textes. 
En somme, toutes les potentialités de l’imprimerie ne sont pas tirées, bien au contraire. Elles ne le seront que très progressivement, à échéance d’une génération, et sous la poussée d'un facteur complètement nouveau par rapport à la technique elle-même. Il s'agit de la concurrence qui se déploie au sein du nouveau marché du livre –mais nous nous réservons de revenir sur ces points. Dans l'immédiat, retenons que l'exemple de la typographie en caractères mobiles confirme pleinement la théorie de l'innovation telle qu'elle avait notamment été proposée par François Caron, et telle que nous l'avons systématiquement mise en œuvre dans L'Europe de Gutenberg: le procédé d'abord, puis le produit, avant que l'on ne passe au stade de l'innovation du côté des consommateurs eux-mêmes –des lecteurs. On comprend mieux, au passage, le délai qui s'écoule entre l'invention technique proprement dite, et son appropriation par les concepteurs (il faut de nouveaux contenus, qui seront présentés sous des formes elles-mêmes nouvelles) et par les utilisateurs, qui sont en l'occurrence les lecteurs. Une leçon qui reste pleinement valable aujourd'hui, surtout s'agissant des nouveaux médias.
(...lire la suite)

Note bibliographique (outre L'Europe de Gutenberg): Frédéric Barbier, «Aux XIIIe-XVe siècles: l’invention du marché du livre», dans Revista portuguesa de história do livro, 2006, n° 20 (Lisboa, 2007), p. 69-95.

Clichés: 1) Gutenberg, héros du progrès universel. La médaille frappée à l'occasion du symposium «Le livre, la Roumanie, l'Europe» (Bucarest, 2008); 2) Bible à 42 lignes, exemplaire de la King's Library, Londres, British Libr. (impression en deux couleurs sur parchemin: © British Library; 3) Psautier de Mayence de 1457.

vendredi 22 octobre 2010

Histoire du livre et problématique de l’auteur

L’Écrivain et l’imprimeur, dir. Alain Riffaud, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, 394 p., ill., index (« Interférences »). ISBN 978-2-7535-1205-4


 Il y a quelques années, nous pouvions encore écrire que «l’auteur [restait] à bien des égards le personnage le plus mal connu de ce que nous pourrions appeler le "système livre"» («Chez les Levrault: un éditeur et ses auteurs, années 1820-1870» dans Rev. fr. d’histoire du livre, 116-117, 2002, p. 79-113). Bien sûr, nous disposions déjà de classiques comme le livre d’Alain Viala sur la Naissance de l‘écrivain (Paris, Éd. de Minuit, 1985), ou encore des recherches de nos collègues médiévistes sur l’actor et l’auctor. Nous avons publié dans le Gutenberg Jahrbuch de 1988 une étude consacrée au déplacement de la catégorie d’auteur induit par le changement de média dominant au milieu du XVe siècle (Gutenberg et la naissance de l’auteur, dans Gutenberg Jahrbuch, 83 (2008), p. 109-127, ill.).
Mais la conjoncture scientifique change peu à peu –le renouveau d’intérêt pour les différents acteurs et constituants du champ littéraire étant peut-être aussi dû au fait que nous nous trouvons engagés dans une nouvelle période de mutation du système d’ensemble des médias, où l’on s’interroge logiquement sur les rôles et fonctions qui peuvent s’y déployer. Le colloque international organisé par Alain Riffaud à l’université du Maine il y a peine un an (8 et 9 octobre 2009) est la preuve à la fois du regain d’intérêt pour la figure de l’auteur, et du fait que l’histoire du livre est désormais très largement prise en compte non seulement par les historiens, mais aussi par les historiens de la littérature.
Le titre du colloque en désigne la problématique: «L’écrivain et l’imprimeur». Si «le livre est un objet manufacturé», il convient d’«intégrer pleinement les apports de l’histoire du livre dans le domaine de l’histoire des textes et de l’histoire littéraire (...). La relation entre l’écrivain et l’imprimeur (…) engage d’abord la définition du «produit livre» par le biais duquel se donne à lire le texte, interroge ensuite le statut de l’auteur, et éclaire enfin la réalité des processus de fabrication et de réception». Plusieurs niveaux interfèrent en effet, selon que l’on s’attache à la rédaction même du texte (sans oublier la correction des épreuves ou la question des rééditions), au paratexte éventuel, à la «mise en livre» proprement dite ou encore à la typologie de la réception.


Les Actes du colloque viennent de paraître, avec une rapidité exceptionnelle, en un élégant volume publié par les Presses universitaires de Rennes. Le détail des contributions donne une idée de la richesse du contenu:
Introduction (Alain Riffaud); Entre la plume et la presse : l’intellectuel au XVe siècle (Frédéric Barbier); Une lettre de Sébastien Brant en 1501 sur la mise en page de la Bible dans l’officine bâloise de Johann Froben (Alexandre Vanautgaerden); Jacob Stoer (1542-1610), un éditeur et ses auteurs (Alain Dubois); Un dialogue entre soi et soi : Jean Crespin imprimeur et écrivain (Jean-François Gilmont); Paul Manuce (1512-1574) et l’imprimerie à travers sa correspondance (Jean-Eudes Girot); L’auteur, l’imprimeur et les autres : éditer les oeuvres complètes de Cicéron (1533-1540) (Raphaële Mouren); Gallilée, «metteur en texte»? (Isabelle Pantin); L’auteur, l’éditeur et l’imprimeur à la fin de l’Ancien Régime (Françoise Weil); Louis-Antoine Caraccioli ou Les amusements typographiques d’un moraliste mondain (Didier Travier); Montesquieu et les imprimeurs de L’Esprit des lois (1748-1758) (Cecil Patrick Courtney); Une collaboration à distance : Jean-Jacques Rousseau et Marc-Michel Rey (Dominique Varry); Samuel Fauche (1732-1803) imprimeur de Charles Bonnet (1720-1793): un face à face qui tourne à l’affrontement (Michel Schlup); Trois polygraphes face aux libraires à la fin du XVIIIe siècle : Pierre-Joseph Buc’hoz, Nicolas Rétif de la Bretonne et Louise-Félicité de Keralio (Sabine Juratic); Deux radicaux anglais aux prises avec l’imprimerie: Julian Hibbert (1800-1834) et Benjamin Nayler (1796-1875) (Wallace Kirsop); Fonctionnement de la technique des épreuves chez Honoré de Balzac (Takayuki Kamada); Écriture et imprimé : le cas de l’écrivain-journaliste espagnol L. Alas « Clarìn » (1852-1901) (Jean-François Botrel); Mallarmé, le « bibliophile navré » et les éditions de l’Après-midi d’un Faune (Brigitte OuvryVial); Jean Bruller-Vercors et l’imprimerie (Nathalie GibertJoly); Défis typographiques dans la littérature américaine contemporaine : Mark Z. Danielewski et Steve Tomasula (Brigitte Félix).


Informations sur le volume (site des P.U.R.)

mardi 19 octobre 2010

À propos d'histoire régionale et locale


La bibliothèque de Chantilly conserve en un recueil deux témoignages rarissimes des débuts de l'imprimerie dans le nord de la France actuelle. Il s'agit de: 1) Georges Chastellain, Chansons géorgines, Valenciennes, [Jehan de Liège, 1500]. Cote : IV–E/89, 1 (Delisle 1261). 2) Jean Molinet, Robe de l’archiduc, Valenciennes, [Jehan de Liège, 1500]. Cote : IV E/89, 2 (Delisle 1261). Le catalogue Picasco (cf. infra) les reprend cependant sous une même cote.
Les villes du Hainaut sont caractérisées par la modernité de leur culture au milieu du XVe siècle: on rappellera parmi les facteurs les plus favorables la présence de petites écoles, la fréquentation des universités proches (Paris et surtout Louvain) par les fils de la bourgeoisie urbaine, la proximité de la cour ducale, la richesse aussi apportée par une activité économique alors florissante.
En 1473, c'est l'apogée pour Valenciennes, lorsque la capitale du Haintaut français accueille le somptueux chapitre de l'ordre ducal de la Toison d'or. Témoignage de cette vitalité: la ville voit se succéder les figures des plus grands chroniqueurs de Bourgogne, Jacques de Guyse, Jean Froissard, Georges Chastelain et Jean Molinet. La montée en puissance des grandes dynasties royales ou princières, en même temps que l’«émergence de l’État» moderne, se manifeste par une politique de prestige concernant aussi bien la mise en place de la cour que l’architecture (châteaux et jardins), le mécénat, sans oublier la constitution de collections diverses dont celles de livres ne sont pas les moins précieuses. La présence d’un historiographe permet de commémorer à la fois les hauts faits du prince, et l’antiquité de sa généalogie. S’agissant des «Pays-Bas du Nord», les manuscrits sont copiés dans les grands centres de la Belgique actuelle, au premier chef Bruges et Bruxelles.
La chute de la maison de Bourgogne, en 1477, constitue bien évidemment une rupture très profonde, dont les prolongements se feront sentir jusque dans la seconde moitié du XVIIe siècle, lorsque la frontière nord de la France sera pratiquement fixée. Pourtant, la vitalité de Valenciennes explique que la ville ait brièvement accueilli un atelier typographique, le seul de la région, au tournant du XVe et du XVIe siècle. Le dossier concernant la figure jusque là presque mythique de ce Jehan de Liège a été repris il y a quelques années en profondeur par Hélène Servant dans son étude capitale Artistes et gens de lettres à Valenciennes à la fin du Moyen Âge (vers 1440-1507) (Paris, Klincksieck, 1998, 389 p., ill., index).
L’auteur y présente à nouveau les célèbres Mémoriaux de Jean Le Robert, qui témoignent de l'existence dans cette même géographie, vers 1446-1451, d'une technique de reproduction de textes «jetés en mole», probablement de courts textes xylographiés (p. 258). Puis elle aborde de front le cas de Jehan de Liège, qui a brièvement œuvré comme imprimeur dans la capitale du Hainaut français autour de 1500 (p. 266). L'étude précise des très riches sources archivistiques inédites permet d'identifier l'artisan avec Jehan de Liège, alias Flameng, venu probablement de Mons et également connu comme mercier à Valenciennes en 1494. On conserve cinq opuscules à son adresse, dont Hélène Servant analyse avec précision la production (p. 270).
Il y aurait bien d’autres choses à dire, par exemple sur le devenir de ces opuscules rarissimes, généralement conservés grâce à l’action de tel ou tel collectionneur, et qui donc ne se trouvent pas nécessairement dans les collections publiques. Bornons- nous à souligner que l’histoire locale pâtit trop souvent aujourd’hui d’un déficit de considération dans certains milieux universitaires. L’exemple de Valenciennes dans la seconde moitié du XVe siècle illustre pourtant trois points importants :
1) D’abord, il montre combien l’articulation est étroite entre histoire locale ou régionale, et histoire plus générale. Il ne s’agit jamais de faire de l’érudition gratuite, mais d’éclairer une problématique large par des exemples systématiques et pris au plus près des sources.
2) L’exemple de Valenciennes témoigne aussi du lien essentiel ayant souvent existé au XVe siècle entre le monde du livre et les institutions politiques, notamment les dynasties royales ou princières. La désagrégation du duché de Bourgogne change complètement la donne, dans le domaine de l’imprimerie et de la librairie, pour une ville fût-elle aussi importante que l'était alors Valenciennes.
3) Enfin, et ce n’est pas le moins intéressant, la pesée de la pénétration du livre dans une région donnée ne peut pas se résumer à l’activité d’imprimerie et d’édition. L’absence d’ateliers typographiques dans le nord de la France actuelle au XVe siècle va de paire avec une présence massive et précoce du livre manuscrit et imprimé. Les facilités de communication avec les grands centres de production que sont Cologne, Louvain ou encore Paris, expliquent, par exemple, la richesse des bibliothèques des grandes abbayes. Rappelons ici que Saint-Bertin acquiert très vite un exemplaire de la Bible à 42 lignes de Gutenberg, et terminons avec la remarquable bibliothèque du chanoine Raoul Mortier, décédé en 1480, et qui lui aussi possède une «Bible en deux volumes de l'imprechion de Mayence». L’édition du catalogue de sa bibliothèque est en cours.
Bref, ce n’est pas d’abord l’équipement des presses qui détermine la plus ou moins grande pénétration du livre dans telle ou telle région ; et l’histoire la plus générale, voire la plus abstraite, se nourrit d’abord des données de l’histoire régionale ou locale. Celle-ci fonctionne réellement comme le laboratoire de l’historien, auquel elle fournit les résultats d’observations expérimentales susceptibles d’être ensuite intégrées dans un discours plus large.

Note bibliographique: Livres Parcours [catalogue d’exposition, dir. par Marie-Pierre Dion], Valenciennes, Bibliothèque municipale, 1995. Fournit de nombreux éléments sur l'histoire de la Bibliothèque et de ses collections, et une bibliographie. D'autre part, l'association Picasco fournit sur Internet le catalogue des ouvrages des XVe et XVIe siècles conservés en Picardie (donc aussi à Chantilly, qui est non pas en Île-de-France mais dans le département de l'Oise): Picardie XV-XVI, onglet Patrimoine.

samedi 16 octobre 2010

Enseigner l’histoire du livre: un aggiornamento nécessaire

La Franconie (Franken) constitue certes un «pays» historique, mais elle ne constitue pas un Land (région administrative) de l’Allemagne d’aujourd’hui, et se trouve intégrée dans la Bavière. Elle possède un certain nombre de villes qui intéressent l’historien du livre, à commencer par Nuremberg, mais aussi Bamberg –où Pfister imprima pour la première fois des textes illustrés. Au XVIIIe siècle, le pays est divisé entre plusieurs micro-états, trois évêchés et un certain nombre de villes libres d’Empire.
À une vingtaine de kilomètres au nord de Nuremberg, Erlangen est une ville relativement ancienne, mais qui a longtemps vécu dans l’orbite de sa puissante voisine. Intégrée au margraviat de Baryreuth, elle est pratiquement détruite pendant la guerre de Trente ans (1634). Reconstruite comme une ville neuve, elle accueille (1686) les protestants français fuyant le royaume après la révocation de l’Édit de Nantes –plusieurs bâtiments ou toponymes rappellent aujourd’hui cette présence des huguenots. Au XVIIIe siècle, Erlangen est un modèle de ces «villes de résidence» (Residenzstadt) caractéristiques de l’Allemagne du temps, et qui sont marquées en profondeur par la problématique de la raison politique éclairée.
Parmi les fondations du margrave, l’université est créée en 1743. La base du fonds ancien de la Bibliothèque universitaire actuelle est  constituée par la bibliothèque privée du margrave Friedrich von Bayreuth, enrichie par ses successeurs. Elle est établie en 1913 dans un bâtiment Jugendstil, qui sera utilisé jusqu’en 1974, et abrite toujours les services de l’administration et la salle de la Réserve.
Aujourd’hui, l’université d’Erlangen-Nuremberg (Friedrich-Alexander Universität) compte un peu moins de 30000 étudiants. Elle est l’une des rares en Allemagne à proposer une spécialisation «Science du livre» (Buchwissenschaft): trois autres instituts de ce type existent en Allemagne, à Leipzig, Mayence et Munich.
On pourra discuter sur la mode qui consiste à qualifier de «sciences» toutes sortes de domaines: le terme fonctionne apparemment comme une étiquette magique censée garantir la pertinence d’un projet et la qualité de son contenu. Mais, s’agissant du «livre», la formule nous semble avoir au moins un effet tactique important: elle permet d’intégrer sous une même désignation des problématiques et des domaines relativement éloignés les uns des autres, même si leur objet est commun –non pas le livre au sens propre du terme, mais la communication écrite. Et nous ne pouvons que souligner les avantages d’une organisation de ce type.
Le «livre», pour l’historien que nous sommes, c’est d’abord l’histoire du livre, voire l’histoire plus générale, notamment dans une perspective socioculturelle. Les enseignements le concernant intéressaient traditionnellement la formation des bibliothécaires, orientation qui est à l’origine de la plupart des enseignements spécialisés de niveau universitaire créés depuis le XIXe siècle (en 1869 à l'École des chartes à Paris) : la bibliographie, l’histoire du livre et les techniques bibliothéconomiques constituaient jusqu’à il y a peu le cœur de la formation des futurs conservateurs des bibliothèques.
Mais, dans nos années 2000, voici le livre entré pleinement dans la logique de sa «troisième révolution», de sorte que la «science du livre» intéresse aussi, et peut-être surtout, les transformations effectivement en cours, et que l’on désignera par commodité comme la «nouvelle économie» des médias. Soit un champ qui touche à l’économie, mais aussi à la technique, au droit et d’une manière générale à toute la problématique des systèmes de communication et d’information, dont les bibliothèques –on comprend bien que c’est là que se trouve l’essentiel des débouchés possibles pour les étudiants.
Il est extrêmement précieux de pouvoir associer des connaissances et des expériences qui sont trop souvent disjointes selon qu'elles relèvent de l’histoire ou des «sciences de l’information et de la communication». Dans une structure du type de celle d’Erlangen, la transdisciplinarité est nécessairement au cœur du dispositif, et cela d’autant plus que des cursus intégrés d’enseignement ont été mis en place avec d’autres instituts de l’université, notamment celui d’histoire de l’art.
C’est la perspective historique qui donne leur profondeur aux phénomènes que nous vivons, et qui permet d’en enrichir la compréhension. Elle est la condition nécessaire pour la formation de spécialistes compétents dans toutes sortes de secteurs, même parfois relativement éloignés de toute perspective historique. L'histoire du livre, discipline relevant de la recherche historique, gagnerait grandement à s'ouvrir à des échanges du type de ceux engagés à Erlangen. La question de créer des structures intégrées qui pourraient s'en inspirer doit être aujourd'hui posée.

Clichés: 1) Ancienne Bibliothèque universitaire, inaugurée en 1913; 2) Mme Rautenberg, titulaire de la chaire Buchwissenschaft à l'université d'Erlangen-Nuremberg, ouvre le colloque "Mélusine" organisé par son Institut; 3) Les moyens financiers sont généralement alloués par la DFG (Deutsche Forschungsgemeinschaft= Communauté allemande de la recherche, en fait une sorte d'agence). Ils permettent de financer les projets, mais aussi de compléter la documentation, comme ci-contre avec une rare édition allemande de Mélusine sortie des presses de Leipzig probablement autour de 1810.

Information sur l'Institut de "Sciences du livre" à Erlangen: Buchwissenschaft (en allemand et en anglais).
Histoire de la Bibliothèque universitaire d'Erlangen: Bibliothèque d'Erlangen (en allemand). 

mardi 12 octobre 2010

Histoire du livre à Sainte-Geneviève


Conférence à la Bibliothèque Sainte-Geneviève

"Prosopographie génovéfaine
Répertoire biographique des 5352 chanoines réguliers
de saint Augustin de la Congrégation de France
(1624-1789)"

par

Nicolas Petit,
conservateur en chef à Bibliothèque nationale de France






 

MARDI  19  OCTOBRE  2010
18h15

Bibliothèque Sainte-Geneviève
Salle de lecture de la Réserve
10 Place du Panthéon
F - 75005 Paris

http://www-bsg.univ-paris1.fr
Entrée libre dans la limite des places disponibles

lundi 11 octobre 2010

Histoire du livre: des fées, des chevaliers... et des livres

Les historiens du livre, mais aussi les historiens de la littérature discutent depuis des décennies autour des thèmes de la lecture «populaire» et de sa «bibliothèque», dont le paradigme idéal reste en France celui de la célèbre «Bibliothèque bleue». D’autres problématiques sont, avec les années, venues se greffer sur ce premier socle, notamment celles relatives aux processus de transferts culturels (étudiés par Michel Espagne), mais aussi aux rapports possible de l’original et de la copie (ou encore, du vrai et du faux), à la définition et au rôle de l’auteur et, d’une manière générale, à tout ce qui peut relever de la bibliographie matérielle et de ce que Henri-Jean Martin a appelé la mise en livre.
Le programme engagé depuis plusieurs années à l’université d’Erlangen par notre collègue Madame Rautenberg porte sur Mélusine, et il constitue un cas d’école pour les travaux actuellement en cours. La légende de Mélusine prend corps en Poitou, sous une forme d’abord oralisée, et sa mise par écrit se trouve directement liée à l’illustration de la maison de Lusignan, dont certains membres porteront les titres exotiques de rois de Chypre, de Jérusalem et d’Arménie. Laissons de côté la tradition manuscrite de Mélusine, qui connaît deux versions autour de 1400, en prose ou en vers, respectivement par Jean d’Arras et par Couldrette. Le duc de Berry, comte de Poitiers, intervient en arrière-plan comme possible commanditaire.
Mais, de manière surprenante, la première Mélusine imprimée n’est pas française : en 1456, Thüring von Ringoltingen traduit en effet le texte en allemand, et dédie son travail à Rudolf von Hochberg, comte de Neuchâtel (Suisse). C’est ce texte qui sera d’abord imprimé, par Bämler à Augsbourg en 1474, sous forme d’un petit volume largement illustré (voir cliché, ci-contre, et la reprod. numérique de l’ex. de la Bayerische Staatsbibliothek). La version allemande est réimprimée à plusieurs reprises à l’époque des incunables.
Antal Lökkós était revenu, dans un article publié en 1980, sur le rôle des premiers imprimeurs genevois dans l’édition de «romans» en langue française. Lorsqu’Adam Steinschaber, lui-même originaire de Schweinfurth, s’installe comme prototypographe dans la cité sur le lac Léman, il donne parmi ses tout premiers titres la première édition connue de l’Histoire de la belle Mélusine en français (1478 : cf GW 12649). L’édition genevoise sera suivie jusqu’en 1501 de six autres éditions en français données à Lyon et à Paris, outre une édition flamande à Anvers et une espagnole issue de presses toulousaines…
L’étude d’histoire du livre permet de suivre l’élargissement du modèle de la distinction lié d’abord au Mélusine français (de la cour à la haute noblesse et aux administrateurs royaux fortunés, puis à la bourgeoisie urbaine), avant son déclassement, qui fera entrer le volume, au XVIIe siècle, dans les collections de ce qu’il est convenu d’appeler la «Bibliothèque bleue» – avec des éditions à Rouen et à Lyon, et surtout à Troyes (cf cliché). Nous reviendrons sur les hypothèses qui peuvent expliquer le passage d'un texte d'abord «distingué» dans une bibliothèque définie au contraire comme «populaire».
Pourtant, l’intérêt des savants se porte à nouveau progressivement vers cette littérature «populaire» et vers ses «romans»: on trouve une édition parisienne de Mélusine dans la bibliothèque de l’évêque d’Avranches Pierre Philippe Huet († 1721), lui-même auteur d’un Traité de l’origine des romans (1670) ; on sait que Charles Perrault publie, en 1697, ses célèbres Histoires et contes du temps passé; et, pour finir, Jean de Castilhon lance, en 1783, une «Nouvelle Bibliothèque bleue» dans laquelle il reprend, pour une clientèle plus aisée, un certain nombre des titres anciennement adaptés et publiés à Troyes.
Dans le même temps enfin, les «romans gothiques» attirent de plus en plus l’attention des amateurs, et les plus fortunés parmi les collectionneurs leur réservent désormais une place de choix dans leurs bibliothèques –malgré la rareté extrême qui caractérise la plupart des éditions les plus anciennes.
Avec l'exemple de Mélusine, ce sont certaines des plus riches problématiques de l'histoire du livre qui sont abordées: l'innovation, la construction du texte, ou encore sa réception et la conjoncture du «populaire» et du «lettré». Mais Mélusine se caractérise aussi comme un étonnant succès européen, dont la diffusion a été étudiée tant en Allemagne qu’en Bohème, ou encore en Pologne et en Russie. Le colloque qui va se tenir à Erlangen du 14 au 16 octobre permettra de confronter les expériences, et il devrait être riche en enseignements pour la construction d’une histoire comparée du livre dans le plus long terme. Programme du colloque (en PDF).

vendredi 8 octobre 2010

Séminaire sur l'auteur à l'Enssib (Villeurbanne)

Centre Gabriel Naudé
Auteur, traducteur, imprimeur, collaborateurs... qui écrit ?
Séminaire 2010-2011

La première séance du séminaire aura lieu le
mardi 12 octobre 2010

«Je montrerai la chose au doigt :
l'exigence critique dans la controverse religieuse du XVIe siècle»
par
Olivier Christin,
Professeur à l'université de Neuchâtel (Suisse)

Informations et inscription sur la liste d'information : raphaele.mouren@enssib.fr

Les séances ont lieu de 17h à 19h à l'enssib, salle N.1.29
17-21 bd du 11 novembre 1918, 69623 Villeurbanne cedex
Tramway T1 arrêt Lyon 1 ; Bus 59 ou 70 arrêt Stalingrad Parc


Raphaële Mouren, maître de conférences
Université de Lyon-enssib
www.enssib.fr
http://raphaele-mouren.enssib.fr

Présidente, IFLA Rare Books and Manuscripts Section (voir: IFLA)

mercredi 6 octobre 2010

Histoire du livre: le Voyage pittoresque de la Grèce

Vient de paraître:
Frédéric Barbier, Le Rêve grec de Monsieur de Choiseul. Les voyages d'un Européen des Lumières, Paris, Armand Colin, 2010, 302 p., ill., index.

Voici un jeune comte, membre d'une des plus grandes familles de France, cousin du principal ministre de Louis XV et familier de la cour royale: mais ce mondain, élève de l'abbé Barthélemy, se passionne pour l'Antiquité grecque au point d'organiser lui-même un voyage de découverte de plusieurs mois en Grèce, en mer Égée et jusqu'à Constantinople.
Marié avec la fille unique d'un des hommes les plus riches de France, Choiseul, devenu Choiseul-Gouffier, se ruine en dépensant sans compter pour tenir son rang, mais aussi pour publier le récit de son voyage. Son Voyage pittoresque de la Grèce est un livre somptueux et très cher, et pourtant un remarquable succès de librairie: il figure dans toutes les grandes bibliothèques de l'époque. L'auteur a inventé une forme bibliographique nouvelle, dans laquelle le premier rang est donné à l'illustration. Il a lui-même réalisé un certain nombre des dessins ayant servi à la gravure des planches, et il fascine son lecteur en entremêlant le récit au quotidien d'un voyage extraordinaire et l'étude savante des vestiges de l'Antiquité découverts au fil de la route. Lui qui n'est évidemment pas un libraire crée pourtant, avec son livre, le genre bibliographique des "voyages pittoresques", qui se répandra dans toute l'Europe pendant un demi-siècle.
À peine âgé d'une trentaine d'années,  Choiseul-Gouffier, déjà membre de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, est élu au fauteuil de d'Alembert à l'Académie française. Sans aucune expérience diplomatique ni politique, et même partisan de l'indépendance de la Grèce, il est pourtant nommé à l'ambassade de Constantinople: un poste particulièrement difficile, mais où il compte surtout poursuivre ses études sur la Grèce et travailler à la continuation de son livre. Loin de sa famille, de ses amis et du monde parisien, il vivra rapidement son long séjour au Palais de France comme un exil de plus en plus pénible à supporter.
Représentant typique de la plus haute noblesse, camarade d'enfance de Talleyrand, l'ambassadeur n'en appelle pas moins de ses vœux une réforme profonde du système monarchique en France. Mais ce partisan de la réforme est bloqué à Constantinople par la Révolution, il ne pourra pas rentrer dans son pays et devra se réfugier auprès de Catherine II à Saint-Pétersbourg: de sorte que son long séjour sur les rives du Bosphore lui aura certainement sauvé la vie. L'un de ses fils se marie en Russie, et lui-même devient le premier directeur de la nouvelle Bibliothèque impériale de Russie.
Enfin rentré en France au tout début du XIXe siècle, largement ruiné et désormais séparé de sa femme, Choiseul-Gouffier abandonne la vie mondaine pour se consacrer tout entier aux études d'érudition et à la poursuite de son Voyage pittoresque, et pour créer à Paris, à partir des collections qu'il avait constituées avant la Révolution, l'un des premiers musées d'Antiquités. Il entreprend de faire construire à cet effet un bâtiment néo-grec sur les actuels Champs Élysées. La mort l'empêchera de conduire ces deux projets à leur terme.
Choiseul-Gouffier, ou l'histoire d'un rêve de savoir, de voyage et de livre, un rêve qui finit par envahir toute la vie de son auteur. Choiseul-Gouffier, ou l'itinéraire d'une vie individuelle, mais qui nous introduit de manière remarquable à une meilleurs compréhension de la situation en Europe au cours d'une période particulièrement complexe.

Ill.: le comte de Choiseul-Gouffier est bien entendu d'abord un "antiquaire", mais qui se découvre ethnologue lorsqu'il nous donne l'image la plus précise de la vie quotidienne des habitants des pays qu'il traverse. Ainsi d'un intérieur grec dans une île de l'Égée (2), ou de la cour du caravansérail sur une route d'Asie mineure (3). (Clichés F. Barbier).

samedi 2 octobre 2010

Histoire du livre: publication des Actes du deuxième symposium de Bucarest

Parution des actes du symposium "Le livre, la Roumanie, l'Europe": Lucrările Simpozionului internaţional Cartea, România, Europa (20-24 septembrie 2009), Bucureşti, Editura Bibliotheca Bucureştilor, 2010, 937 p., ill. (ISSN 2068 9756).

La parution en moins d'un an des actes du deuxième symposium international tenu à Bucarest en 2009 sur le thème "Le livre, la Roumanie, l'Europe", témoigne de l'efficacité de l'organisation mise en place par nos collègues roumains. Le gros volume de plus de 900 pages a pu être distribué aux participants au troisième symposium, qui vient précisément de se tenir à Bucarest (voir le billet du 25 septembre 2010).
Comme tous les ans, le symposium était organisé en trois sections principales, dont la première ("Histoire et civilisation du livre") nous intéresse particulièrement. Nous y retrouvons un certain nombre de communications qui fournissent de précieuses informations sur la situation de l'histoire du livre en Europe centrale et orientale: Jacques Bouchard (Montréal) traite ainsi de "La littérature roumaine d'expression grecque", tandis que Ioana Feodorov (Bucarest) aborde la problématique relative au patriarche d'Antioche Athanase III Dabbās (vers 1700), à son voyage en Valachie et à ses relations avec les pays roumains en général.
La littérature roumaine du tournant du XVIIIe au XIXe au siècle est traitée par Alin Mihai Gherman (Alba Julia). Olimpia Mitric (Suceava) poursuit son exploration des collections de la Bucovine historique (avec une précieuse bibliographie et des illustrations), et Victoria Aura Păuş (Bucarest) envisage une nouvelle fois (mais de manière sans doute quelque peu traditionnelle) la problématique de l'usage du français comme langue de culture en Roumanie.
Radu Ștefan Vergattti traite de "L'existence du diocèse catholique de Valachie". D'autres contributions abordent des points d'histoire du livre non directement liés à l'Europe orientale ("La marque typographique À la Vraie Religion: fortune d'un emblème protestant", par Monica Breazu). Par ailleurs, un certain nombre de contribution est publié en anglais.
La suite du volume présente les communications relatives aux deuxième ("Bibliothéconomie et sciences de l'information") et troisième sections ("Études europénnes et afro-asiatiques"). Enfin, un intéressant ensemble d'articles (pratiquement tous en anglais) traite de l'histoire de la latinité orientale, tandis que le directeur général M. Florin Rotaru présente en annexe du volume le programme de numérisation "DacoRomanica", alias la Bibliothèque digitale roumaine (voir aussi à l'adresse: DacoRomanica). Avec le symposium annuel et avec la publication des volumes successifs lui correspondant, Bucarest s'impose comme une place majeure où s'élabore l'histoire du livre en Europe orientale. Nous attendons avec impatience la quatrième édition du symposium, et la publication des actes du troisième symposium (sept. 2010).